Entrevue avec le street-artiste Benny Wilding, talent montréalais

Image d'avatar de Johanna PocobeneJohanna Pocobene - Le 31 juillet 2015

Benny Wilding est un des talents de la scène montréalaise, sur le chemin des plus grands. Après avoir réalisé pendant quinze ans des graffitis, l’artiste se lance dans la réalisation de grandes murales comme celle effectuée récemment pour le festival mural 2015 sur l’avenue Mont Royal. Rencontre avec un artiste singulier, mêlant graffiti,  pop-art américain, images vintage et lettrage stylisé.

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Johanna Pocobene : Benny Wilding… Très peu d’informations circulent sur vous, sur votre carrière artistique. Qui êtes-vous ?

Benny Wilding : Je réalise des graffitis depuis l’âge de quinze ans sous le nom de Cemz, puis sous le nom de Ether. Tout a réellement commencé lorsque je suis partie en voyage à New York quand j’étais adolescent. Tout de suite, j’ai été surpris par cette nouvelle forme d’art, le graffiti, un art que je ne connaissais pas. J’ai toujours dessiné, depuis mon plus jeune âge, mais avant de rencontrer le graffiti je ne savais pas vers quoi m’en aller… J’étais un peu délinquant… Le fait d’aller à New-York m’a permis de me rendre compte de ce qui existait à Montréal, de m’intéresser aux graffitis, et de commencer à en réaliser moi-même. C’est aussi à cette époque là que j’ai rencontré des personnes du milieu montréalais. Seaz, par exemple, – Sterling Downey, fondateur du festival Under pressure- un des pionniers du graffiti à Montréal, il réalisait des activités, des séances d’informations sur le graffiti pour les jeunes de mon quartier, en partenariat avec la ville de Montréal. Cela m’a ouvert les yeux, cela m’a permis de comprendre la culture urbaine, celle de ce monde là.

Avez-vous réalisé vos études dans le domaine artistique ?

J’ai étudié en infographie, en animation 3D pour le cinéma aussi mais cela ne m’a pas réellement plu. Je n’ai pas accroché. Par la suite j’ai travaillé en infographie, il m’arrive encore aujourd’hui de prendre des contrats dans ce domaine mais en ce moment je suis plus occupé à faire des murales ! Cela prends le dessus sur le reste et c’est ce que je préfère faire.

Quelle est votre relation avec le street-art et le graffiti ? Vers quelle forme artistique vous  sentez-vous le plus proche ?

Ce sont deux cultures réellement différentes. En ce qui me concerne j’ai évolué seulement dans le graffiti de rue, en me calquant un peu sur ce qui se faisait à New York : des lettrages stylisés, un perso associé avec un lettrage… Aujourd’hui j’ai la sensation que cela se retrouve moins sur les murs des villes. En ce qui concerne le street-art, c’est un art relativement nouveau, considéré depuis les dix dernières années. C’est une forme artistique qui se démocratise. A l’époque quand nous peignons cela était sur des trains, des coins de rue, des tunnels … Aujourd’hui cette forme d’art est davantage acceptée et cela s’apparente plus à du ”street-art”. Le street-art est en quelque sorte la clé, et permet au graffiti d’être mieux vu.Le graffiti à la base c’est quelque chose de personnel, ”d’ego”. Les personnes qui réalisent des graffitis veulent se faire connaitre le plus rapidement possible. A l’origine ce n’est pas de l’art en tant que tel, le but est de concevoir des choses que d’autres ne feraient pas, avoir le plus de visibilité possible… La partie artistique vient après. Le graffiti à New-York est né sur des trains, dans la rue, crée par des gars qui n’avaient parfois pas d’argent et qui devaient voler leurs bombes… La culture du graffiti vient de là.

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Pourquoi avoir choisi la rue pour vous exprimer ?

J’aime le fait qu’il n’y est pas de loi, pas de règles. La rue est un mélange de liberté, de publicité, de tout ce qui fait la ville et je trouve que cela se retrouve dans mon art.

Dans tes murales, comme dans la dernière que tu as effectuée pour le festival Mural sur l’avenue Mont-Royal, il est possible de trouver des références aux cartoons, à la publicité, des lettrages … Comment définirais-tu ton style ?

Ma culture s’apparente au pop art américain. J’ai regardé des shows télé américains toute ma vie, j’ai beaucoup voyagé aux États-Unis, j’ai aussi été pas mal influencé par cette scène New-Yorkaise.

Cela était d’ailleurs le jeu, quand nous concevions des pièces avec mes amis, nous recherchions à réaliser des lettrages jamais vu, nous voulions utiliser les couleurs les plus surprenantes… Pour se démarquer il fallait aussi avoir son ”perso” et cela était souvent des personnages de cartoons américains de notre enfance. En revanche, il fallait être original et choisir un personnage qui n’avait pas été utilisé, toujours dans le but de se différencier.

D’autre part je suis aussi dans un crew de graffiteur New-Yorkais du Bronx depuis huit ans dont font partis tyke tfo,  just wf, jaga dc et 9volt wf. Tout cela vient donc de mon expérience personnelle, je ne suis jamais allé en Europe alors peut-être que si un jour j’y mets les pieds mon art évoluera et sera moins imprégné de cette culture américaine.

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Comment procèdes -tu pour réaliser tes toiles, tes murales ?

L’approche est différente de celle que j’ai lorsque je réalise des graffitis. Pour mes murales et mes toiles il y a un travail effectué en amont, j’effectue des recherches dans des banques de données, je mets à plat mes idées. Je peins toujours en fonction de mon parcours de vie, des images qui m’ont marqué, des souvenirs de publicité… le but est de montrer ce qu’il y a dans mon esprit.

Quelles sont vos influences ?

J’apprécie le travail des Maîtres de l’art, comme Vermeer. Je n’ai jamais étudié l’histoire de l’art mais j’essaie de faire ma propre éducation,  en regardant des documentaires notamment. Vermeer n’est pas nécessairement une influence directe mais il me donne l’envie de peindre, et cela m’intéresse de voir ce qui a été fait par le passé et ces exploits que je ne serais jamais capable d’atteindre. Concernant des influences plus directes, je dirais que j’apprécie le travail des graffiteurs et des street-artistes qui ont ouvert des portes.

Comme Banksy par exemple ?

Oui, exactement, comme Frank Shepard Fairey également. Leur art est merveilleux mais ce n’est pas leur art qui m’inspire mais plutôt leur expérience, ce qu’ils ont réalisés pour démocratiser cette forme d’art avec leurs moyens et leur passion.

Quel retour attendez-vous sur vos œuvres ? Quel message souhaitez vous faire passer ?

Je cherche à avoir un impact sur les personnes qui regardent mes œuvres en le rappelant des souvenirs, qu’ils se disent ”ah ! j’avais complètement oublié ce personnage ” par exemple. C’est cela qui se passe pour moi. J’aime aussi mixer, réaliser des contrastes, montrer un personnage de Walt Disney à côté d’une compagnie pétrolière ou à côté d’une référence à un film plus obscur. Le but est de montrer que la vie n’est pas toujours belle, qu’elle dispose de plusieurs facettes mais aussi montrer que nous sommes chaque jour bombardé de publicité. Nous pensons qu’elles n’agissent pas sur nous alors que c’est tout le contraire… elles sont plutôt imprégnées dans notre esprit.

Et en ce qui concerne la musique… Quelle influence a-t-elle sur votre travail ?

La musique m’influence beaucoup. J’ai grandis avec le punk-rock mais je me suis surtout vite tourné vers le rap, le hip-hop, ce qui faisait dans les années 90 comme Mob deep, Wu-Tang … Mais aujourd’hui je ne suis plus capable d’en écouter lorsque je suis chez moi ou en train de peindre ! J’en suis venu à saturation car j’en écoutais énormément pendant ma période graffiti. Aujourd’hui j’écoute plus du rock, du vieux rock des années 70-80, du Led Zeppelin par exemple.

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Pouvez-vous revenir sur votre expérience au festival Mural 2015 ? Comment cela s’est déroulé pour vous ?

Avant le festival Mural je réalisais seulement des graffitis et des toiles dans mon sous-sol… Même mon pseudo ”Benny Wilding” n’existait pas avant le festival Mural, c’était juste mon alias Facebook. Avoir eu cette opportunité,  cela m’a permis d’avancer davantage dans cette voie, dans celle du street-art. Je suis réellement reconnaissant envers les membres du festival Mural de m’avoir donné cette chance. Ce qui est drôle c’est que lorsqu’ ils m’ont contacté ils ne me connaissaient seulement qu’en tant que graffiteur alors j’ignore ce à quoi ils s’attendaient ! Je suis d’autant plus reconnaissant car selon moi il y a beaucoup d’artistes qui méritaient avant moi d’avoir cette opportunité.

Pouvez-vous revenir sur cette première exposition solo ”Shift” réalisée au Artgang ce samedi 1 er aout ?

Cela fait deux ans que je prépare sans le savoir cette exposition. Pendant les deux hivers précédents j’ai réalisé des toiles chez moi, j’ai peint presque tous les jours. De cette façon, j’ai pu davantage développer mon style et conçu davantage de toiles peintes, dessinées et non plus seulement du graffiti sur toile ! J’ai donc réalisé des toiles pour moi même pendant ces deux hivers, afin d’apprendre à peindre aussi avec un pinceau, par passion. Cette exposition est l’illustration de mon passage de la rue vers la galerie. Montrer à ceux qui ne me connaissaient pas sous cet angle là, que j’ai une facette plus ”artistique” et non uniquement celle affiliée au graffiti. Cela va dans le sens de ces toiles que je peignais depuis deux ans, sans avoir l’idée d’en faire une exposition à la base. Il n’y aura quasiment pas de graffiti mais plus d’œuvres de cette autre facette de moi.

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Comment vis tu personnellement le fait de passer de la rue à la galerie ?

Pour moi il s’agit d’une transition évidente. A un moment donné, tu réalises ton art pendant assez longtemps pour que cela puisse fonctionner, tu t’es donné à fond pour réussir. C’était apparemment le temps pour moi que cela se passe, et cela n’aurait pas pu se faire si vite sans Montréal, sans le festival Mural, sans le fait que d’autres artistes soient impliqués dans ce domaine et me donnent envie de m’y intéresser. Pour autant cela ne veut pas dire que je vais cesser de réaliser des graffitis, au contraire, c’est juste que je vais davantage concentrer mes forces pour réaliser des choses concrètes, plus sérieuses. Le graffiti reste une partie de moi, je vais toujours garder des marqueurs dans mes poches et avoir un endroit en vue… Je ne peux pas marcher dans la rue sans voir un toit libre et sans penser immédiatement que quelqu’un va y aller avant moi…

Quels sont vos projets futurs ?

Voyager ! J’ai beaucoup travaillé cette année avec le festival et mes contrats en design, alors j’aimerais un peu prendre du temps pour moi, essayer de faire des murales peu importe ou je suis. Je vais aussi continuer à m’occuper de la compagnie de linge, BORO, avec deux autres graffiteurs montréalais Stack et Shok, des amis de longue date.

https://www.youtube.com/watch?v=MW4kGV2498Q

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Johanna Pocobene
Article écrit par :
Passionnée par l'art et le journalisme x La culture est déclarée.

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