[LP] Flabaire – It’s Just A Silly Phase I’m Going Through

Image d'avatar de Nils SavoyeNils Savoye - Le 1 avril 2016

Aujourd’hui on se propose de vous parler du premier LP de Flabaire qui est sorti le 1er mars chez D.KO. Le genre de musique pour after,  sensuelle, peuplée de nappes d’orgues ou de violons très bien construites et qui font voyager mais ce n’est toutefois pas le bordel, le tout donne une image carrée. La démarche qui la soutient nous a séduits puisque l’électronique est une musique qui s’écoute peu en album et là on a eu droit à un double. It’s Just A Silly Phase I’m Going Through se prononce facilement. On s’est dit qu’il y avait de l’humour dans ces mots, silly ne voulant rien dire d’autre que loufoque, absurde, débile, idiot ou décalé. Mais là a été notre première surprise quand nous avons contacté ledit Flabaire en lui posant quelques curieuses questions.

Il nous semblait que l’interlude qu’il plaçait en début de troisième face avait des airs de I’m Not In Love – tube de 10cc sorti en 1975 sur lequel vos parents se sont sans doute roulé leurs premières galoches. Autant dire qu’il posait une foutue barrière entre la deep house posante qu’on avait écouté sur les cinq premiers titres. Le BPM redescendait paisiblement et on se retrouvait dans un ressac caribéen, arrivés sur une île au rhum pas cher et à la ganja de qualité. La similitude n’était pas un hasard car rien ou si peu est laissé au hasard dans ce très bon album. C’était bien à 10cc qu’il était ici fait référence et le titre même de l’album est tiré des paroles de, si l’on reprend les mots de Flabaire, cette « déclaration d’amour non assumée ».

FLABAIRE ET LA MUSIQUE ÉLECTRONIQUE

En 1975, sa femme dit à Eric Stewart – le leader de 10cc – « Mon petit Ricou, tu me dis jamais que tu m’aimes. J’en ai marre moi, si ça continue comme ça je vais aller me taper le voisin qu’a une plus grosse bagnole que toi. En plus ta musique, c’est de la soupe ! » Eric ne compte pas s’arrêter sur ces paroles injustes et blessantes mais en même temps, pour lui, dire tous les jours « Je t’aime » c’est faire perdre son sens à cette expression. Quand il est éculé, le « je t’aime » devient en effet un simple « bonjour » et perd ce caractère unique qui le rend si doux à l’oreille. Stewart se dit donc, dans son génie certain, que c’est mieux de faire une non-déclaration d’amour. C’est ainsi que naît I’m Not In Love, un slow langoureux où déclarant son non-amour il énumère simultanément toutes les raisons qui font de sa femme un être exceptionnel. Bref, c’est classe et en plus l’histoire de l’élaboration de cette musique est vachement intéressante, mais pour ça on laisse un lien pour les curieux anglicistes – on peut néanmoins vous dire qu’à l’origine ce morceau c’était un bossa nova.

Pourquoi toute cette présentation ? Flabaire a mis en évidence lors de notre échange une certaine analogie entre l’amour de Stewart pour sa femme et son amour à lui pour l’électronique. Un amour indubitable mais qu’on se refuse d’exhiber. C’est là qu’on entend un peu mieux la démarche du monsieur. Après avoir sorti plusieurs maxis chez D.KO Records ou encore Organic-Music, ce dernier a finalement réfléchi sur la notion même de support dans la musique électronique – la house ici. Nous avouant que la house est plutôt formatée pour faire des maxis à passer dans des clubs, lui s’est retrouvé en juin dernier avec quelques morceaux qui sortaient dudit format. Deux morceaux qui pouvaient avoir une existence autre, qui pour lui devraient s’écouter calé sur un nuage fait maison. Ce sont ces quelques morceaux qui ont inséminé l’idée d’album dans l’esprit flabairien et il a alors pu, comme il le dit lui-même, intégrer des influences plus variées axées surtout autour du rock, de l’ambient ou encore de la jungle.

Pochette de It's Just A Silly Phase I'm Going Through, premier LP de Flabaire (artwork by Ambroise Bellec)
Pochette de It’s Just A Silly Phase I’m Going Through (artwork by Ambroise Bellec)

FLABAIRE ET LA BOSSA NOVA

La première référence à 10cc nous a donc un peu déconcerté mais il y en avait d’autres. Le poétique jeu de mots pour le magnifique titre La Grève Des Étoiles, le brésilien Saudade, dub4jeremy qui pourrait faire penser à Jeremy Underground, Berggasse 19 (Spiritual Mix) qui renverait au Berghain… Plutôt que de dire des conneries on a préféré demander à l’homme en personne. On a ainsi appris que Berggasse faisait référence non pas à la mythique boîte de nuit berlinoise mais au cabinet du docteur Freud à Vienne. Saudade, pour ceux qui ne sauraient pas, est quant à lui un sentiment intraduisible qui nous vient du portugais, une forme de nostalgie mélancolique. Quelque chose, surtout, qui s’écoute notamment à travers tout le répertoire brésilien de la bossa nova. Évoquant Paris au mois d’août, période où il a composé cet album, Flabaire avouait d’ailleurs avoir balancé entre l’aspect déprimant et le calme apaisant des rues désertes plombées par une chaleur grise. Il écoutait alors lui-même les grands classiques de la bossa comme Antonio Carlos Jobim, Vinicius de Moraes ou encore João Gilberto.

La démarche nous a donc plu car on pourrait voir It’s Just A Silly Phase I’m Going Through comme un album de bossa électronique, quelque chose qui brasse des références tout à fait autres pour leur donner une forme nouvelle. Surtout, cet album a été le moyen de rentrer dans l’esprit d’un artiste “à l’ancienne”. On n’a pas eu recours à un maxi ou à une Boiler Room ou à un mix pour je ne sais quelle radio pour découvrir Flabaire… S’immergeant une heure dans son monde nous avons pu littéralement se faire une large idée de ses références, de la musique qu’il aime faire et dans quel esprit il la pense. Et ça, dans le cadre de la musique électronique, c’est rare. Et, disons-le, ça n’a pas de prix.

Enfin si, il y en a un. Huit sont à vendre en support vinyl à partir de 19 euros sur Discoggs et vous pouvez très bien trouver d’autres marchands de journaux en vous renseignant un peu.


PS : On vous invite à suivre D.KO si ce n’est pas déjà fait. Ce label parisien squatte la Rotonde depuis pas mal de temps et commence à tourner pas mal en France. Avec neuf EP et un dixième en préparation ils ont mis en avant les projets de Mad Rey, Paso ou encore Secret Value Orchestra où le Flabaire que nous avons présenté aujourd’hui gère la basse. Le prochain qu’ils prévoient réunit par exemple Paul Cut sur la face A et LB aka LABAT sur la face B. Il y a un preview par ici.

Partagez avec vos amis :)
A voir aussi !
Aakash Nihalani, l’art au bout du rouleau

Aakash Nihalani, l’art au bout du rouleau

Armé de ses rouleaux de ruban adhésif, Aakash Nihalani s’attaque…

19 avril 2024

L’explosion nucléaire du film Oppenheimer recréée par un macro vidéaste

L’explosion nucléaire du film Oppenheimer recréée par un macro vidéaste

Thomas Blanchard, un cinéaste français, a fait de la macro…

19 avril 2024

A la rencontre de MIMOSA

A la rencontre de MIMOSA

Mimosa est un trio composé de Noé Choblet, Théo Diguet…

18 avril 2024

Nils Savoye
Article écrit par :
Mélomane organisé en bande : suivez-nous sur www.lescamoteur.fr : un son, un texte, une image.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.