‘TB epidemic in Ukraine’ : le photoreportage par Maxim Dondyuk.

Image d'avatar de CelineCeline - Le 20 octobre 2015

Maxim DondyukMaxim Dondyuk, artiste originaire d’Ukraine et basé à Kyiv, s’est spécialisé dans la photographie documentaire – après avoir fait ses débuts comme photojournaliste pour les médias ukrainiens.

Récompensé à plusieurs reprises, il travaille désormais à son compte, pour de nombreux magazines internationaux tels que le TIME, Der Spiegel, Paris Match, Polka, Libération et bien d’autres.

De 2010 à 2012, il réalise son documentaire ‘TB epidemic in Ukraine’. (Ndlr : Pour ceux qui seraient moins familiers du sujet, TB signifie bien tuberculose.)

Pour ce photoreportage de deux ans, il s’est rendu dans la région de Donbass en Ukraine – plus précisément dans des hôpitaux soignant des tuberculeux.

A travers ses clichés, il met en avant un problème sanitaire ukrainien encore peu évoqué : le manque de moyens économiques et de formation face à l’épidémie de tuberculose. L’Ukraine est en effet le premier foyer européen de la maladie.

« Les gens n’imaginent pas que l’Auschwitz moderne se trouve juste à côté. »

fenetre

S’il ne s’est pas rendu loin géographiquement, il n’y a pas de limite à l’émotion qu’il transmet par ses photos. Bien que l’on ne perçoive pas nettement la volonté de choquer, ses clichés sont malgré tout frappants de réalité, une réalité souvent nue et froide – qui se justifie par le sujet choisi – une réalité qui fait réfléchir. Il choisit lui-même des mots évocateurs, traduisant l’horreur dont il a pu être témoin et le sentiment qu’il en garde : « Les gens n’imaginent pas que l’Auschwitz moderne se trouve juste à côté. ».

Non seulement Maxim visitera le sanatorium, côtoiera les patients, mais il en accompagnera même durant leurs dernières heures. C’est là que l’on peut ressentir la profondeur du reportage. L’artiste ne montre pas seulement ce qu’il voit, il raconte aussi ce qu’il vit…

Cette implication est aussi une particularité du journalisme gonzo – dont est adepte le photographe – un style ultra-subjectif de documentaire photo, qui tient davantage de l’investigation. L’immersion de l’auteur dans son sujet devient donc logique, et nécessaire.

Ainsi, ses nombreuses photos ne sont pas accompagnées d’une simple légende mais souvent d’un récit qui leur est associé. C’est ainsi que l’on rencontre Valentina – qui travaille à l’hôpital de Novozburevka depuis 25 ans – Nikolay, 66 ans au moment du reportage – incapable de s’offrir les soins nécessaires – ou encore Gennady qu’il verra juste avant son décès.

Les couleurs sont plutôt froides. Les angles de vue ne dissimulent rien, traduisant simplement et efficacement le quotidien des patients, à travers des objets laissés sur une table, le repas d’un malade, le repos d’un autre, les soins d’un dernier. Il photographiera la maladie, la souffrance, l’emprisonnement, la mort.

Au bout des 88 clichés que l’auteur a pris, on a l’impression d’y avoir vécu, nous aussi.

 

«  Toutes les heures, 4 nouveaux cas de tuberculose sont enregistrés. Tous les jours, 30 personnes meurent de la maladie.  Chaque année, la tuberculose tue environ 10 000 personnes. »

Drying o X-rays
Séchage des radiographies. Colonie pénitentiaire #3 Zhdanovka, Donbass, Février 2011.

Le docteur réalise le séchage avec une ancienne méthode à cause du manque d’équipement moderne en rayons-X, comme dans pratiquement tous les hôpitaux et prisons traitant la tuberculose.

Valentina
Valentina. Hôpital Novozburevka, Août 2011. Elle a travaillé 25 ans à la buanderie de l’hôpital pour tuberculeux Novozburevka.
Mikkhail
Mikhail, 1948. Diagnostique: tuberculose multi-résistante. Hôpital Kherson, Juillet 2011.

 

Il y a 4 ans, sa femme décédait. En répercussion, Mikkhail fit un AVC. Il commença à utiliser des béquilles et pouvait à peine parler. Durant la période de l’URSS, il travaillait comme maçon sur des chantiers de construction. Après une opération chirurgicale à l’estomac, il eut un examen médical de contrôle où les médecins lui trouvèrent des tâches dans les poumons et l’envoyèrent à l’hôpital. Il a donc la tuberculose depuis 1983.

En automne, il reste à l’hôpital pour prévenir toute aggravation de la maladie. Pendant l’URSS, il fut traité une fois en 2-3 ans. La nourriture était excellente, tous les médicaments disponibles. Mais maintenant, c’est son fils qui doit acheter la nourriture et les médicaments, il doit aussi lui préparer à manger dans une salle d’hôpital.

Helen, 1954. Diagnostique: tuberculose vertébrale. Hôpital Donetsk, Donbass, Décembre 2010. Opération chirurgicale pour retirer des parties de la colonne vertébrale, touchés par la tuberculose. L'opération fut un succès.
Helen, 1954. Diagnostique: tuberculose vertébrale.
Hôpital Donetsk, Donbass, Décembre 2010.
Opération chirurgicale pour retirer des parties de la colonne vertébrale, touchés par la tuberculose.
L’opération fût un succès.

 

Valera's scarf
Valera, 1970. Diagnostique : tuberculose. Kherson, Juillet 2011. Valera montre la cicatrice de son opération, pendant laquelle on lui a ôté le poumon droit. Suite à l’opération, sa vie entière a complètement changé.

 

Gennady
Gennady, 1962. Diagnostique : tuberculose multi-résistante + VIH. Hôpital de Donetsk., Donbass, Décembre 2010.

Il travaillait à la mine. En 2007, une tuberculose pulmonaire lui a été découverte. Les docteurs lui prescrivirent un traitement. Mais dès qu’il se sentit mieux, il commença à boire, trop boire… En 2010, une douleur abdominale aiguë apparut. Due aux nombreux ulcères formés dans l’intestin, une tuberculose intestinale lui est alors diagnostiquée. Les docteurs réclamèrent que le patient soit transporté immédiatement à l’hôpital pour tuberculeux ou chez lui et ne  l’autorisèrent pas à rester dans le département post-opératoire.

Il fut transporté en taxi car l’ambulance ne voulait pas l’aider non plus. Suite à l’opération, toutes les cicatrices sur son estomac divergeaient à cause du nombre d’ulcères. Les docteurs ne lui prédirent plus que quelques jours à vivre. Sa famille décida de rapatrier l’homme mourant chez lui. Il marcha dans l’appartement un mois entier avec une plaie béante à l’estomac. Sa femme a finalement supplié les médecins de le reprendre à l’hôpital. Il mourut le 23 décembre 2010.

Cette photo a été prise 2 heures avant sa mort.

Konstantin

Konstantin, surnom “Salman”, 1969. Diagnostique: tuberculose multi-résistante + VIH. Hôpital de Kherson, Août 2011.

Étant enfant, il se faisait battre par son beau-père. Il essaya de se tuer, mais la balle le traversa, le laissant aveugle de l’œil droit. Suite à ça, il prit de la drogue pendant 25 ans. Il atteignit jusqu’à 5 cubes d’opium et 2 cubes d’amphétamine par jour. Il finit en prison pour trafic et arrêta de se droguer. Dans sa seconde année de prison, il fut atteint de la polio. Les rayons X détectèrent aussi la tuberculose. Il reçut des injections en traitement pendant 4 mois. Sa mère le visita tous les soirs, lui apportant nourriture et médicaments. Il décéda en un mois sur son lit, le 24 août 2011.

Cuisine improvisée
Cuisine improvisée dans une chambre. Hôpital de Kherson. Août 2011.

Dans presque chaque chambre, il y a des installations électriques, dont se servent les patients pour se préparer quelque chose à manger.  Les docteurs sont au courant mais laissent passer, car il n’y a pas assez de nourriture.

Leonid, 1933. Avait la tuberculose. Hôpital, Juillet 2011.
Leonid, 1933. Avait la tuberculose. Hôpital, Juillet 2011.

Il travaillait à la mine, à Krasnyi Luch, dans la région de Luhansk, depuis 1949. Il se cassa la colonne vertébrale pendant l’explosion de la mine, et un de ses poumons fut touché également. Il contracta par la suite la tuberculose. Il prit 10 sessions de traitement en 8 ans. Puis, comme ses jambes faiblissaient, il fut examiné à nouveau. Les tests ne détectèrent une infection encore plus importante. Le jour suivant, sa famille venait le récupérer pour le ramener chez lui. Il décéda un mois et demi plus tard.

Kherson TB hospital
Le bâtiment de l’hôpital pour tuberculeux. Kherson. Août 2011.

 

Alexander
Alexander, 1957. Diagnostique : tuberculose. Hôpital Novotroitsk. Juillet 2011.

L’histoire selon l’équipe médicale : “Il a été sévèrement battu et a perdu l’esprit et la mémoire. On a été incapable de retrouver ses proches. Il est vraiment bruyant et agressif. On attend un psychiatre de la région pour l’emmener dans un hôpital psychiatrique pour tuberculeux.”

L’histoire selon le patient : “Je m’appelle Bukarev Alexander Mikhailovich. Je suis né en 1957. Je travaille à l’usine de meubles de Kherson. J’ai un appartement, une femme et deux enfants. Le reste de la conversation est difficile à comprendre.”

Eduard & Vladimir
Eduard, 1967, et Vladimir, 1968. Diagnostique : tuberculose multi-résistante. Hôpital Dzerzhinsk. Donbass, Janvier 2011.

En 2004, alors qu’il était en prison, Eduard apprit qu’il avait la tuberculose. Il fut transféré dans le département pour tuberculeux où il fut soigné et renvoyé en cellule. En 2005 il est libéré, et passe un examen médical où lui est diagnostiqué un diabète. Un peu plus tard, après un rhume prolongé, il découvre qu’il a de nouveau la tuberculose. Il prend alors des médicaments pour ça, en plus de l’insuline.

Vladimir, quant à lui, lit la Bible l’après-midi. Les patients n’ont pas le droit de quitter leur chambre l’après-midi avant leur prise de médicaments.

 

Oleg
Oleg, 1974. Diagnostic : tuberculose multi-résistante + VIH. Hôpital Kherson. 11 Août 2011.

Un ami d’enfance, Sergey, lui fait boire de l’eau à la cuillère. Oleg était toxicomane, et a été deux fois en prison. Il travailla au port après sa libération. Sa mère est morte et son père ne souhaite pas le connaître. Seul son grand frère l’aide.

Il a longtemps été traité pour un ulcère, ne sachant pas qu’il était atteint de tuberculose, jusqu’à ce que son frère l’amène à l’hôpital presque mourant. Il a rapidement recommencé à marcher, a retrouvé l’appétit. Mais dès lors que ses amis sont venus lui rendre visite avec de la vodka pour son anniversaire, il est allé de moins en moins bien et s’est éteint en trois jours, le 14 Août 2011.

Alexander, 1954. Diagnostique: tuberculose. Hôpital Konstantinovsk, Donbass, Décembre 2010. Un SDF décida d'attendre ici la fin de l'hiver et de subir le traitement contre la tuberculose.
Alexander, 1954. Diagnostique: tuberculose.
Hôpital Konstantinovsk, Donbass, Décembre 2010.
Un SDF décida d’attendre ici la fin de l’hiver et de subir le traitement contre la tuberculose.

 

Maxim
Maxim, 2005. Diagnostique: suggestion de tuberculose, maladie de Bourneville. Hôpital pour enfants de Tsurupinsk. Septembre 2011.

Orphelin avec la maladie rare de Bourneville. Issu de l’orphelinat, il a été admis à l’hôpital avec la pneumonie.  Suite à l’inefficacité de son traitement, il fut envoyé dans un hôpital pour tuberculeux. Il y est soigné depuis 3 semaines.

prisoners in treatment room
Prisonniers, dans la salle de traitement pour tuberculeux d’une prison. Colonie pénitentiaire #7 Starozburevska, Juillet 2011.

 

Gena's funeral
Une mère en pleurs à l’enterrement de son fils. Une minute après cette photo, le corps fut recouvert et l’on perçut les coups de marteau qui fermaient le cercueil. Bientôt, un carré d’herbe et une croix furent les seuls restes de son fils. Les funérailles furent modestes. Dix personnes sont venues dire au revoir à Gena. Il n’y avait même pas 4 hommes capables de porter le cercueil, donc j’ai dû aider. La limite entre le fait que je suis un photographe et quelqu’un qui aide une mère à enterrer son seul fils a disparu depuis longtemps.

Pour connaître toute l’histoire, c’est ici.

 

Partagez avec vos amis :)
A voir aussi !
« Réaliser le branding entier d’un festival… Mon plus grand rêve ! » : rencontre avec Lozo Illu, illustratrice aux idées colorées
Dune : Deuxième Partie, ou l’art de filmer des visages comme des paysages

Dune : Deuxième Partie, ou l’art de filmer des visages comme des paysages

Deux ans après le succès du premier volet, Denis Villeneuve…

3 mars 2024

A la rencontre de The Twins Soul

A la rencontre de The Twins Soul

The Twin Souls, duo formé par les frères Guilhem et…

27 février 2024

Celine
Article écrit par :

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.