Shin Hanga

Le mouvement Shin Hanga, c’est quoi ?

Image d'avatar de Aurelie CordonnierAurelie Cordonnier - Le 12 juin 2024

Shin Hanga, est-ce que ce terme vous dit quelque chose ? En Japonais, il signifie « nouvelles gravures » ou « renouveau pictural ». Vous l’aurez compris, il s’agit d’un mouvement artistique et se compose d’un système créatif en quatuor : le graveur, le dessinateur, l’imprimeur et l’éditeur travaillent ensemble pour donner vie aux œuvres. Qualifiées également de nouvelles estampes, ces créations se distinguent des gravures sur bols traditionnelles par leur langage visuel ancré dans la modernité. Les femmes, autrefois idéalisées et stylisées, sont désormais dessinées à partir de modèles réels dont on devine les émotions. Les paysages, impressionnistes plus que réalistes, se caractérisent par une gamme chromatique très évocatrice.

Femme se poudrant, Hashiguchi Goyō, 1918
Femme se poudrant, Hashiguchi Goyō, 1918

Les débuts du mouvement

Mais comment est né le Shin Hanga ? Pour cela il faut remonter au XXème siècle. Alors que l’estampe traditionnelle est en perte de vitesse, voire même en déclin en raison de l’apparition de la photographie, Watanabe Shozaburo, un éditeur japonais, décide de créer un nouveau style afin de relancer la mode pour cet art populaire, tout en prenant en compte les intérêts du marché international. 

Watanabe Shozaburo est un véritable passionné par la technique de l’estampe. Il comprend que pour continuer d’exister, il doit trouver un souffle nouveau et s’appuyer sur de jeunes artistes. Il va alors en contacter plusieurs : il commence par Shotei (Takahashi Hiroaki) à qui il va confier la création de nouvelles estampes de paysage. Mais Watanabe ne les trouve pas assez novatrices, ne collant pas assez avec sa vision de renouveau. La fusion entre tradition japonaise et nouveauté occidentale va être la clé. En 1915, il rencontre le peintre autrichien Capelari venu à Tokyo pour étudier la peinture japonaise, lorsque celui-ci passe à la boutique de Watanabe qui lui donne des pinceaux japonais et l’incite à faire des croquis s’inspirant de l’esthétique de l’ ukiyo-e (estampes traditionnelles). Il lui propose, ensuite, de graver des bois pour éditer une série d’estampes à partir de ses dessins. Capelari accepte avec joie, et ce sont douze gravures de l’artiste qui seront éditées par Watanabe.

Femme se peignant, Hashiguchi Goyō, 1920
Femme se peignant, Hashiguchi Goyō, 1920
Nagoya Castle, Takahashi Hiroaki
Nagoya Castle, Takahashi Hiroaki

Le mouvement Shin Hanga naît, mélange subtil d’un mariage entre art japonais et occidental. Nous sommes alors en l’an 1912. Watanabe conserve l’idée originale du travail d’équipe de l’ukiyo-e (estampes traditionnelles)mais dans une sorte de style modernisé qui s’adressait davantage aux étrangers qu’aux Japonais, et a exporté ces créations en grand nombre vers l’Amérique du Nord et l’Europe.

L’éditeur poursuit ensuite sa collaboration avec l’artiste Ito Shinsui. Il le rencontre à une exposition de Kiyokata Kaburagi, peintre et illustrateur reconnu, dont il était l’élève. Impressionné par l’une de ses œuvres, Watanabe décide de réaliser une estampe à partir de celle-ci ; ce sera “Face au miroir”, un magnifique portrait de femme vue de profil, face à son miroir que l’on ne voit pas, dans un kimono rouge sombre éclatant. Une estampe qui rencontrera un succès immédiat. Shinsui continuera de peindre des paysages pour Watanabe en s’inspirant des techniques de clair-obscur et des dégradés de couleurs des artistes européens.

Femme sortant du bain, Hashiguchi Goyō, 1920
Femme sortant du bain, Hashiguchi Goyō, 1920

De 1915 à 1942, le Shin Hanga sera véritablement florissant, au Japon comme en Europe et aux États-Unis. Il connaît un regain en 1946 et jusqu’à la fin des années 1950.

La différence avec le Sosaku Hanga

En parallèle du Shin Hanga se développe le Sosaku Hanga. Si les deux arts sont proches, une différence majeure les distingue tout de même : alors que  shin hanga prône le travail d’équipe (artiste, graveur, imprimeur et éditeur travaillant ensemble), le sosaku hanga, lui, met l’artiste au centre de la création. Il crée, grave et imprime lui-même ses œuvres. Une vision occidentale de l’art à laquelle se rattachent les adeptes du Sosaku Hanga.

Le mouvement sosaku hanga et le mouvement shin hanga gardent tous deux un dénominateur commun : l’estampe japonaise est passée du statut de produit artisanal de masse, attrayant par son prix et son attrait pour les gens ordinaires, à celui de produit des beaux-arts destiné à une élite sociale et, surtout, à une élite financière.

D’un point de vue technique, Watanabe est extrêmement soucieux de la nécessité d’une fabrication parfaite et il va déployer toute son énergie à s’entourer des meilleurs artisans, graveurs et imprimeurs afin d’avoir un rendu méticuleux. 

Les caractéristiques du Shin Hanga

Grâce aux artisans, l’artiste se débarrasse des contraintes techniques, il peut ainsi ne se soucier que de son propre travail. Inspirés par les impressionnistes, les adeptes du mouvement intègrent des éléments occidentaux tels que le jeu de lumière et l’expression personnelle tout en se concentrant sur des thèmes traditionnels.

Ichikawa Sadanji II dans le rôle de Narukami, par Natori Shunsen, 1926
Ichikawa Sadanji II dans le rôle de Narukami, par Natori Shunsen, 1926

Le Shin Hanga a pour but de faire ressentir en premier lieu l’atmosphère. C’est pourquoi dans ce mouvement, les artistes réalisent essentiellement des paysages (urbains ou ruraux), des bijin-ga (« des belles femmes ») mais aussi les saisons, les fleurs et les oiseaux ou encore les portraits d’acteurs kabuki, la forme époque du théâtre japonais traditionnel.  Mais le thème des saisons reste un grand classique, avec quelquefois un même paysage traité à différentes périodes de l’année. La maîtrise des paysages enneigés, qui restent une thématique incontournable (tout comme la pluie, les nuits de pleine lune ou la floraison des arbres au printemps), dévoile l’étendue du talent des différents adeptes du mouvement qui réussissent à dépeindre les rafales tout comme les neiges fines.

Mont Fuji, Takashi Hiroaki
Mont Fuji, Takahashi Hiroaki
Neige sur la rivière Ayase, Takahashi Hiroaki
Neige sur la rivière Ayase, Takahashi Hiroaki

Les figures principales du Shin Hanga

De nombreux artistes voient aujourd’hui encore leur nom être indissociable du mouvement. Hasui Kawase, par exemple, est un artiste phare du Shin Hanga. Soutenu par Watanabe, l’éditeur de la plus grande partie de son travail, son œuvre se compose principalement de paysages et réunit toutes les caractéristiques du Shin Hanga : des atmosphères évoquées souvent très mélancoliques, la passion des paysages du Japon, les détails du temps qui passe au travers des saisons sans oublier les prouesses techniques des artisans qui créent des teintes aux multiples nuances. 

Onoe Kikugorō VI dans le rôle de Hayano Kampei, par Natori Shunsen, 1929
Onoe Kikugorō VI dans le rôle de Hayano Kampei, par Natori Shunsen, 1929

D’autres ont également marqué l’histoire de l’art : Kawai et Sakaguchi, Ikeda, Doi Hanga, ou Unsodo pour les éditeurs; Koitsu Tsuchiya et ses estampes nocturnes, Kasamatsu Shiro, Natori Shunsen pour ses portraits d’acteurs ou encore Ohara Koson reconnu pour ses portraits d’animaux pour les artistes.

L'étang de Sarusawa, Hiroshi Yoshida, 1933
L’étang de Sarusawa, Hiroshi Yoshida, 1933
Pluie sur le pont Izumi,Takahashi Hiroaki
Pluie sur le pont Izumi,Takahashi Hiroaki

Du côté de la représentation des bijin-ga et de la féminité idéale, le nom qui s’illustre est celui de Goyo Hashiguchi qui, dans les années 20, va créer une série restée célèbre, en grand format d’estampes représentant des femmes dans leur intimité, après ou avant le bain, se maquillant… Il fait naître sous ses doigts des images très quotidiennes de ces femmes tout en magnifiant leur beauté. 

Femme sortant du bain, Hashiguchi Goyō, 1920 mouvement du Shin Hanga
Femme sortant du bain, Hashiguchi Goyō, 1920

L’influence de tous ces artistes sur le monde artistique japonais est indiscutable. Ils ont fait renaître la tradition artistique du pays tout en l’ouvrant sur le monde occidental et en faisant un concept raffiné et prisé.

Pour aller plus loin

Des livres sur le Shin Hanga

  • Shin hanga. Les estampes modernes du Japon (1900-1960) de Chris Uhlenbeck. Sans aucun doute l’ouvrage incontournable pour tout apprendre de l’histoire et des techniques de cet art. L’auteur retrace tout un pan éblouissant du Shin Hanga, de son point de départ à sa fin.
  • Shin Hanga : les estampes japonaises du XXème siècle de Brigitte Koyama-Richard. Un ouvrage qui présente les principaux maîtres du Shin Hanga, à travers leurs œuvres et leurs écrits. 
  • Ukiyo-e à Shin Hanga : l’art des estampes japonaises sur bois de Chris Uhlenbeck et Amy Reigle Newland. L’histoire complète de la gravure japonaise, de la gravure simple aux livres et albums illustrés. En même temps que la période Edo (1603-1868), le livre couvre en détail les estampes des périodes Meiji (1868-1912) et Taisho (1912-1926).
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Aurelie Cordonnier
Article écrit par :
Après des études d’histoire, Aurélie s'est tournée vers des études de journalisme. Férue de musique (notamment de hard rock, glam metal et heavy metal), de littérature et de cinéma, il était tout naturel pour elle que d’orienter son choix de carrière vers le journalisme culturel.

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