Andy Picci, un enfant (trop?) de son siècle

Image d'avatar de Arthur TerrierArthur Terrier - Le 2 février 2016

Andy Picci est un mec cool.

Il connait le monde dans lequel il évolue, ses principes sociaux, ses codes tacites. Il est branché, l’apparence soignée, à l’aise devant l’objectif. Née et 1989 à Lausanne, il a trainé ses bottes entre Paris et Londres – un enfant du sérail, comme on dit – et je suppose qu’il a arpenté tous les clubs un peu réputés des deux capitales, qu’il doit bien y avoir sa tronche sur Saywho, que les physios du Bus Palladium et du Silencio le reconnaissent, qu’il doit être fêtard, extraverti par défaut, et que cocktail, vernissage, invitation privée, font parties de son vocabulaire. Le personnage n’est pas révolutionnaire, entendons-nous bien ; pur produit de son environnement. Comme nous tous d’ailleurs. Lui et moi avons le même âge, et avons certainement ingurgité les mêmes références. Ma génération à un code barre : entre nous, on se comprend. Tenez, voilà une photo :

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Vous avez remarqué ? Les similitudes avec Pete Doherty, le lead singer des Libertines ? N’allez pas crier à la coïncidence, car la ressemblance est ici volontaire.  Pire encore : entretenue. Mais alors, me diriez-vous, pourquoi est-ce que je vous emmerde avec Andy Picci alors que vous avez le même genre de personnalité sur les chaines câblées à sensation ? Tout simplement, parce que ce que vous percevez comme une obscène superficialité s’avère en fait un projet artistique très sérieux intitulé #IAMNOTDOHERTY (bien sûr qu’il y a un hashtag). Le projet, qui nous est vendu comme une volonté « d’exploser » les codes du star-système, est parvenu à duper le Parisien qui a sottement publié une photo de Andy Picci dans sa couverture. Les Inrocks ont applaudi la performance, cité pèle mêle Cindy Sherman et Richard Prince, et aussitôt jeté le blâme sur la société du spectacle. La supercherie a été révélée au grand jour et nous public misérable, ivre de paillettes et d’or, qui nous sommes enthousiasmés devant cette photo, avons été bernés, vachement bien, que nous sommes alors, bien bernés, que nous avons été. Vachement.

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En effet, ne vous fiez pas trop aux fringues de marques et au col de chemise bien repassé, Andy Picci est un artiste. Et un artiste pas mal diplômé. Je veux dire, il y a la très correcte École Cantonal d’Art de Lausanne, puis l’ESAM de Paris, et surtout la Central Saint Martins UAL de Londres. Andy Picci n’est donc ni incompétent ni incapable. Officiellement doué, même. Il y a toujours eu du très bon qui sort de ces écoles, et je vous assure que malgré l’hypothétique montant que le chéquier de papa peut supporter, votre diplôme de l’UAL vous devez sacrément le mériter. Et ce alors qu’il baigne dans une faune où l’artiste sans formation pullule, prêchant les vertus de l’autodidacte, usant de sa grande gueule pour compenser son absence de technique, Andy est passé par l’étape de la formation et il mérite qu’on lui dise : Fucking Well done, Andy!

Sur son site (super propre, soit dit en passant), s’accumule déjà pas mal de projets : tous ayant le mérite de la cohérence, et trahissent une réflexion.

Alors outre #IAMNOTDOHERTY, se trouve, entre autres, #JESUISCHRIST, une installation bien pensée qui cherche à faire « le lien entre l’idolâtrie religieuse et l’omniprésent narcissisme contemporain » _#DEFINIBUSTERRAE, une succession de vidéo représentant l’artiste lui-même, en vacance, et qui a pour ambition d’être une caricature reflétant l’obsession de soi, et le narcissisme contemporain _ #SELFIELIKEFRANCO, une succession de selfies imitant ceux du polyvalent James Franco, qui souhaite faire réfléchir sur le narcissisme contemporain et notre société du spectacle.

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jesuichrist
FRANCO

OK

Je pige, je vous jure, je pige, je comprends, c’est clever, c’est du satyre, ça parodie, je pige tout, le second degré, je pige, je capte le truc, vous n’en faites pas, je pige ; mais j’en suis foutrement fatigué.

Fatiguer du rapport à la célébrité, des doubles identités, des fausses identités, des « je suis extraverti pour cacher ma sensibilité », des Bimbos de téléréalité qui révèlent avoir joué « un rôle » et sont en fait très intelligentes, de la théorie des médias, de l’ultra-référentiel, de Guy Debords, des réflexions sur le voyeurisme et sur l’égo, des dualités entre l’homme public et l’homme intime, merde, je suis fatigué, on en bouffe depuis la première saison du loft, on a des penseurs qui écrivent là dessus, on théorise, on dissèque le phénomène, certains se font espions et jurent jouer à la star que pour révéler l’absurdité de la condition de star, on parodie, pastiche, on s’infiltre dans la société du spectacle par ironie, pour se moquer des autres, tandis que les autres y sont aussi par ironie, mais tout ça, c’est du satyre, ça traduit les névroses de notre société actuelle, alors bravo, génial, et tous, trop bien : mais moi je ne marche plus.

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Je refuse de traverser une nouvelle décennie d’art narcissique.

Andy Picci

Je suis prêt à supporter tout le reste, sans sourciller, une pleine décennie d’art baroque, ou d’art optimiste, ou d’art minimaliste, ou d’art religieux (j’attends vraiment ce revival en fait), ou d’art naïf, je supporterais tout, vraiment, mais s’il vous plait, pas encore dix ans de réflexions sur le narcissisme. On en a fait le tour. C’était une impasse. 
Parmi les grandes justifications empiriques envers l’art narcissique, il y a celle qui veut que l’artiste le serait par définition, et j’ignore qui à la primauté de cette bêtise, mais elle est erronée : l’artiste durant des siècles s’est fait discret au profit de ses œuvres, et n’a été qu’une créature timide recluse dans son atelier. La vie même de l’artiste, son apparence, ses amours, ses frasques étaient secondaires. Mais vint la déferlante Andy Wharol qui est parvenue à exécuter un travail de qualité tout en étant présent au cocktail mondain, s’iconisant lui-même à chaque verre levé. Il a amené la peste en la maison, car les enfants qu’il a engendrés ont aspiré à une identique célébrité ; s’efforçant à ce que leurs personnes deviennent œuvre, mais à se préoccuper plus de son allure que de son art, on est improductif. Alors l’artiste moderne, eu son « eurêka » et pour allier travail et cocktail, il faillait que le cocktail devienne le travail. Une pierre, deux coups. L’artiste allait explorer l’artificielle, et être populaire, sauf que ses œuvres à trop évoquer le médiocre sont devenues médiocres à leurs tours.

Il a oublié que l’art ne fait pas que grossir certains traits du monde pour en révéler d’odieuses vérités, mais parfois aussi sublime, fantasme, imagine et rêve.

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Comprenez que je ne tiens pas Andy Picci pour responsable, et moins encore le mouvement d’Appropriation dont il semble s’inspirer, et qui a su fort heureusement se développer au-delà des préoccupations évoquées plus haut, mais j’ai de la peine à voir les productions artistiques d’aujourd’hui persévérer dans cette voie. Je ne dénigre pas cette dernière, il est évident que notre rapport à la célébrité et à notre image est encore tristement d’actualité, et que le sujet mérité en sois d’être évoqué/discuté/débattu, mais j’estime qu’il serait temps que l’art lâche ce bout de viande. L’individu moderne est bourré de névroses ; choisissez en une autre.

Il est dur toutefois d’en vouloir à Andy Picci, tant le sujet qu’il traite est populaire chez les galeristes, et caresse dans le sens du poil le public de manière assez paradoxale. L’artiste pense le dérouter en le confrontant directement à ses vilaines manies _ on l’accuse de narcissisme_, mais se trouve étrangement à l’aise face à ce médium qui lui est tant familier.

De voir l’art parodier ses travers,  leur semble légitimer ces derniers.

Et moi j’allais tout à fait désespéré d’Andy Picci, persuadé de ne point pouvoir y trouver mon compte, jusqu’à ce que je tombe sur sa série d’art digital. Et j’ai vraiment aimé ça. Vraiment aimé. Non, mais regardez ça :

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Alors on est toujours dans l’Appropriation, en utilisant des photos de célébrités, de cover de magazine et autres références populaires, mais le motif, le choix des couleurs m’emballent. Ça claque, ça fonctionne. L’exercice est maitrisé, il y a une sainte inspiration, un vrai souffle. Merde, regardez celle-là aussi :

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Et là encore, je me moque tout à fais que ce soit un détournement d’une célébrité, et je n’ai nul besoin de connaitre l’image originale pour lui attribuer je ne sais quelle volonté subversive. Cela pourrait être le portrait d’une anonyme, que je trouverais cet art tout aussi excitant et en verrait bien un accroché dans mon salon. C’est élégant, coloré, et captivant. Sa formation et son expérience s’y reflètent, et il faudrait que je trouve d’autres synonymes pour traduire mon engouement afin de gonfler mon paragraphe, et qu’il surpasse en longueur ceux d’au-dessus, car c’est exactement ça que vous devez retenir de cet article : Andy Picci est un type plein de talent. Son expression graphique est excellente, et n’a nul besoin de se faire supporter par une réflexion sur le star-système, et devrait au contraire s’épanouir sur une feuille blanche ou une photo anonyme, loin de toute contrainte.

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Son travail est brillant. Et d’ailleurs, mes reproches sont stériles : il n’a que 25 ans, et a toute une carrière devant lui, et le temps nécessaire pour évoluer, changer, approfondir. Bien sûr qu’il va faire mieux, il a l’air d’en avoir sous le capot. Alors oui, j’aimerais bien qu’il mette de coté tout ce fatras de société du spectacle et de média (il a aussi un truc avec Oscar Wilde et le dandysme qui est, pour moi, un sujet clos et abouti depuis l’œuvre de Barbey D’Aurevilly sur Georges Brummel, mais bref), mais tout ça c’est personnel, et avec la somme de talent qu’il possède, je suis même prêt à le suivre dans des sujets qui me sont insensibles. Et j’avoue m’en vouloir un peu de m’être servi de lui pour cracher mon venin sur un courant artistique général.

Andy Picci, aujourd’hui, il ne change pas le monde. Il sait ce qu’il fait, et comment l’exécuter, chose plutôt rare pour notre âge. Il est de son époque, et va dans le sens des choses. Ce qui pouvait être estimé comme de l’audace hier, est dorénavant norme. Mais Andy Picci a tous les matins du monde pour lui. Et entre nous, moi j’y crois. Même que je suis prêt à poser tous mes billets dessus. 

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