Chris(tine and The Queens): cherchez le garçon, trouvez son nom

Image d'avatar de Lola LeventLola Levent - Le 24 mai 2018

Après avoir teasé son retour à coups de gribouillis verts fluo, Christine and The Queens a lancé sa première bouteille à la mer depuis un bon bout de temps. Il y avait eu la tournée internationale, les morceaux inédits, les featurings avec Booba, Mura Masa et Twinsmatic, mais maintenant il y a « Damn, dis moi » (et/ou « Girlfriend »). Le titre nous est arrivé dans son enveloppe bilingue, on tape du pied, on remue la tête et on s’intéresse à cette Christine réapparue en Chris au nom d’un devenir « canaille ». Comprendre: ici, on fait des philtres d’amour avec des mauvaises herbes. 

christine and the queens

Christine and The Queens nous avait laissés en 2016 avec sur les bras des souvenirs de paysages interstellaires où les identités flottaient et où le corps — ce fidèle qui en dit trop ou pas assez — promettait toujours des horizons nouveaux. On y trouvait des morceaux d’astéroïdes mélodiques, des cratères sur la peau, des constellations de doutes devenus confiance en brillant, des objets non identifiés célébrés sous toutes leurs coutures, et j’en passe. Ni les sueurs froides de la solitude, ni les frissons de la marginalité ne plongeaient l’auditeur dans le gouffre spleenétique du renoncement. Au contraire, le poète romantique 2.0 nous réservait un bon nombre de formules énigmatiques, qui, pour la plupart, semblaient signifier: le beau n’a qu’un type, le laid en a mille. Autrement dit, sois bien dans tes Air Max. 

Mais c’est quatre ans après la sortie de son premier album que l’on reçoit la suite du message en direct de Mars, c’était la semaine dernière, sous la forme du double single « Damn, dis moi » (aka « Girlfriend »). L’artiste a promis que son deuxième opus parlerait de désir; désir, c’est-à-dire « le manque d’une étoile » comme le veut la langue morte, mais pas n’importe quel manque selon nous, celui qui anime, celui qui donne l’impulsion d’agir, celui qui se projette coûte que coûte vers l’avant: on commence à se faire une idée de ce qui arrive. Le projet est encore anonyme à ce jour tandis que son auteure, elle, a gribouillé les trois quarts de son alias, comme pour modeler avec plus de réalisme le visage de son alter ego. On a tout de même quelques prémonitions: davantage de bilinguisme (dans le sillon de « Tilted », « Half Ladies », « Science Fiction » et « Night 52 »), des chorégraphies verbales plus sensuelles, moins de mercurochrome, plus de salive, plus de sueur.  

C’est que le thermomètre ne blague pas en Californie, d’où vient Dâm-Funk, en featuring sur le nouveau single. La chanteuse a troqué les États-Unis de Kanye West (de toutes façons, c’est trop compliqué) pour les plages de l’ouest américain où la chaleur humaine ne fait jamais faux bond. On se laisse avoir par ces trois minutes d’interrogations souriantes — le son est rond, le soleil plein, les rires affluent… De quoi penser que la recherche de soi a cédé sa place à la conquête de l’autre. Main tendue, voix charnelle, la bataille navale est lancée non sans difficulté jusqu’au touché final. Née des tentatives maladroites, la jouissance opère par miracle ou par hasard, mais qui s’en soucie? 

La Christine de « Narcissus is back » s’est soustraite à l’étendue d’eau et y abandonne un temps sa notoriété; en fin de compte, les atouts ne sont qu’un poids de plus à porter. Tout se passe comme si celle qui intellectualise tout — i.e. la même qui cite Foucault comme si de rien était au détour d’un refrain (dans « Intranquilité »), commente ses paroles sur genius.com et présente ses projets aux médias comme un écrivain parlerait de ses personnages de roman — lâchait du leste du haut de son mètre cinquante. Loin d’être moins viscérale, l’approche est plus légère. Et, derrière les traits d’humour, « Chris » semble évoquer une hétérosexualité customisée, détournée, revisitée à la sauce gender fluid; c’est  l’échauffement avant de s’emparer à pleines mains des gimmicks, des costumes et des gestes hétéronormés sans intention de les rendre. 

christine and the queens

Une femme et un homme, deux hommes, une femme seule ou entourée de sa horde habituelle d’animaux hors du commun; peut-être tout ça à la fois, peut-être parce que c’est l’artiste elle-même (eux-mêmes?) qui emprunte le rôle du passeur, ce héros contemporain dont la mission est de traverser les frontières. Il y a des chiens qui sont des oiseaux et des merles qui sont des humains. Tout ça en 03:21. Après tout, on n’est jamais rassasié la pomme d’Adam bloquée derrière les cordes vocales, et la voyelle qu’on croyait partie pour un aller-simple revient comme un voyou mais est accueillie comme une reine. Inutile cependant de dérouler le tapis rouge, le corps de l’acrobate est lui-même une scène où s’affichent les réalités mouvantes et leurs lots d’armures f-f-forgées au combat. 

Autant dire qu’on a hâte de la voir, la montée sur le ring du valeureux Chris, celui qui va manger toute crue la foule de l’Accor Hotel Arena et mater (dans tous les sens du termes) autrui sans complexe. Amours féroces loading 

 

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