Avec le festival Clap Your Hands, le Café de la Danse nous rappelle que la musique est d’abord une affaire de tripes et de sensations. D’ailleurs, sa situation géographique elle-même traduit la volonté des mélomanes de s’isoler un peu de la rumeur de la ville, l’espace de quelques heures (il est impossible d’emprunter le passage Louis-Philippe par hasard).
C’est donc dans la moiteur d’un samedi caniculaire, slalomant entre les bandes avinées de début de soirée et les échos de vieux tubes latinos des années 90 (pardonne leur, Ray Barretto) de la rue de Lappe que j’atteins la salle, laquelle entame la saison 8 de son festival.
Samedi – 20h : Tristesse contemporaine : la cold wave m’a presque rafraîchie
La prochaine fois qu’un jour de canicule, on vous propose un verre et que vous répondez non, après le premier concert plutôt, rappelez vous ceci : ACCEPTEZ ET BUVEZ CETTE P****N DE BIERE. Vous n’aurez pas de seconde chance.
La scène comme la salle sont chauffés à blanc ; je m’en étonne, je n’imaginais pas que le groupe de Namuri Omori, Michael Gifts et Leo Hellden pouvait susciter un tel enthousiasme. Moi-même, je n’étais pas venue pour eux. Les titres s’enchaînent, langoureux, secs, troublants, offrant quelques grammes de sexyness supplémentaires au public, dont la densité accroît riffs après riffs. Les coudes s’entrechoquent, Gifts parvient à éponger sa sueur tout en sublimant Out of My Dreams.
Peu à peu, j’entre dans une transe que Everyday et Know My Name ne font qu’aggraver… ou peut-être est-ce la soif…L’atmosphère est concentrée, rien ne dépasse, et la ponctualité étant la politesse des rois, la bande arrive et repart à l’heure, sans rappel, mais avec un set complété de deux titres bonus. Puisqu’on vous dit qu’il faut éprouver les artistes sur scène avant tout…Pas encore extatique, mais leur spleen aussi fier que désenchanté me fait désormais écouter leur dernier album, Stop and Start, avec la ferveur d’une fan de la première heure.
21h30 – Yan Wagner : la lévitation tellurique
Une quarantenaire aux joues déjà un peu trop rosies par sa pinte demande à trois mecs (25 ans max, dégaines d’étudiants en droit en crise de vocation) : Yan Wagner, ça ne vous fait pas un peu penser à Depeche Mode ? – Euh, vous parlez du groupe qu’on n’écoutera jamais ? Bonne répartie, mais réponse has-been : n’y a-t-il donc plus aucun respect en ce monde ? L’amnésie latente de la génération à venir génère chez moi une drôle d’apathie…ou peut-être est-ce la soif…
Un halo orangé. De Tristesse Contemporaine, seul le batteur demeure. Le peu d’air frais en suspension s’est chargé d’une tension électrique inédite. La (belle) faute à Yan Wagner, dont le coffre de crooner 80’s n’a d’égal que sa mèche ondulée. Et sa pop-électro analogique. Ce concert n’a-t-il jamais existé ?
La texture est là pourtant, synthétique, la moiteur, encore, l’entrelacs des sonorités syncopées. De ses débuts, en 2012, j’avais gardé en mémoire un étrange logo, et un charisme techno à l’épreuve du temps…Quoique…This Never Happened, son excellent nouvel opus semble amener l’artiste vers des élans plus pop, avec cette touche de clair-obscur qui fait toute la différence. Lorsque résonnent les premières notes de Grenades (en tête de mon chart intime), la foule est hors de contrôle et décide désormais de mes mouvements. No Love, Forty Eight Hours…Yan nous asperge d’eau mais rien n’y fait, à nous faire léviter à cette hauteur, la température ne pourra jamais redescendre.
Lundi – 20h30 : 1921 : le Paradis, c’est par ici
Les âmes sœurs existent bien : David Åhlén et Andreas Eklöf alias 1921 me le prouvent. David n’est pas des nôtres…Il gravite dans des hauteurs où seules les harmonies cristallines subsistent. Les claviers et et effets pop d’Andreas sont comme un fil d’Ariane le rattachant encore à ce monde, tandis que l’apesanteur reprend ses droits, lentement, lentement. Les contingences matérielles perdent toute saveur, j’en abandonne mon jus de fruit tiède sans regrets (oui, du jus de fruit). Cette électro pop à la singularité toute religieuse laisse le public béat. La messe est dite.
21h15 : SOHN : the boss is back
Je soupçonne mon voisin de fosse de réécouter Tremors, discrètement, l’air de rien. Il fait mille fois moins chaud que samedi. Enfin, ça, c’était avant que SOHN entre en scène. Sweat légèrement surtaillé, mine de garçon timide, entouré de ses musiciens (monstres de subtilité), on arriverait presque à oublier que son premier album a affolé tous les fanatiques de pop/électro vaporeuse/mélopées soul, qui pensaient, comme moi, avoir trouvé en James Blake leur gourou ultime.
Tandis que sa voix parcourt ce chemin familier qui sépare le désespoir de la joie, je me réapproprie des titres que j’avais oublié tandis que la foule, comme figée, se laisse enrober de toute cette lumière ténue qui irradie chacun d’entre nous. La grâce est là, sublimant les interstices de chaque silence. Vivement la saison #9.
Crédits photos : Florine Camara // excepté SOHN @Phil Knott