Frederic Fontenoy a fait beaucoup depuis, et très certainement qu’il a fait mieux, que son style a progressé, et qu’il serait bien plus d’actualité d’évoquer ses récents travaux mais nous à Beware, sa série de 1988 nommé « Métamorphosis » on ne parvient pas à s’en débarrasser. Oldies.
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Premièrement, je vous arrête tout de suite car déjà j’entends soupirer au loin :« Bon Dieu, encore un photographe du mouvement! ». Encore un écolier qui tombe des nues en découvrant les possibilités d’une longue exposition. Encore un amateur convaincu d’originalité qui cherche à faire se mouvoir l’image.
Vous avez tout faux.
C’est vrai que le culte du mouvement statufié, on en bave depuis des années.
Du Discobole de Myron aux chevaux d’Etienne Jules Marey. C’est tout un genre dans la photographie. Le Mouvement. Soit l’objectif se concentre sur sa naissance, lorsque les muscles se contractent, et que nait la première impulsion ; soit il capture le geste qui s’accomplit dans une direction et semble avancer; ou bien alors la photo saisit l’aboutissement, lorsque le corps se relâche et que l’action est passé. Bref, on cherche à donner une histoire à la photo, une narration micro-temporelle mais narration quand même. Soyons franc, on admet toujours mal que la photo soit si hiératique. Alors on s’entête à vouloir capturer « un instant » comme si l’art photographique se résumait à un cinéma fragmenté. Une belle bêtise.
Dans les « Metamorphosis » de Frederic Fontenoy, on retrouve tous les stigmates du mouvement. Des grandes vagues de vitesses distordues, le flou confus des visages, la silhouette humanoïde déconstruite et remodelée. Mais les mouvements sont si impossibles à déduire que l’on devine que l’intérêt n’est pas dans l’action du geste lui-même. Le mouvement est ici un prétexte pour la forme. Dans ces photographies, l’élan ne découle sur rien, les déplacements sont imprécis, l’impulsion du corps n’est pas dirigé. Ce n’est ni un mouvement sur la droite, ni sur la gauche, ni à l’intérieur, ni au-dehors. Ces mouvements sont paradoxalement immobiles. Vous me suivez?
Pensez à ces toupies qu’on fait tournoyer à une telle vitesse qu’elles nous paraissent devenir inertes. Ou bien les pales d’un ventilateur en marche. Sous l’effet d’une impulsion, l’objet peut paraitre à nos yeux immobiles La photo nommée mystérieusement M22 est l’aboutissement de cette pensée, car l’on aperçoit un modèle secoué par un élan, dont le corps ondule, mais qui prend l’apparence d’une pierre, symbole ultime d’immobilité.
Le résultat est une jungle anamorphique, où les membres se séparent et se retrouvent plus loin. L’individu change de configuration, se divise, et se retrouve encore. Il devient créature Lovecraftienne, ou il devient rien du tout. Les figures sont envoutantes, poétiques mais toujours fatalement humaines.
Et plus curieux encore car, hasard chaotique ou magnifique intuition du photographe, les formes ainsi créées ont une raisonnante familière. Qui a ses bases en folklores mythologique peut reconnaître dans les modèles le Grand Pan, le centaure Chiron, ou la nymphe Daphné. De là à penser que Ovide percevait les créatures divines comme des êtres en perpétuelle mouvement ?
Cette série à presque trente ans et 600 mots nous suffisent à peine pour l’évoquer. Pour vous dire comme elle nous travaille. On pourrait pondre encore bien d’autres pages sur les “Métamorphosis” de Frederic Fontenoy, croyez-nous. On n’arrive vraiment pas à s’en remettre.
Ps: Et quant au lecteur de Beware qui a reconnu la référence poétique du titre sans tricher sur Google, sache qu’on trouve que tu es cool.