Ike Ortiz

[Interview] Ike Ortiz, crooner vampirique

Image d'avatar de François GrazFrançois Graz - Le 30 août 2024

11 août 2024, 20h30. Alors que le crépuscule commence tout juste à s’abattre sur les remparts de Château Sonic, un être surnaturel surgit de la pénombre afin d’ensorceler la foule de son timbre de voix si singulier. L’énigmatique entité se nomme Ike Ortiz, chanteur dont le premier disque Maudit Beau démontre toute l’étendue de la vision artistique.

Ike Ortiz portrait
©Elie Vautey

La qualité plutôt que la quantité. Figure majeure du panorama musical genevois, Ike Ortiz s’est en quelque sorte tapi dans l’ombre plusieurs années avant de se dévoiler au grand jour, n’apparaissant qu’à de rares reprises en qualité de featuring. Une discrétion longtemps frustrante pour ses auditeurs, tant le suisso-équatorien a prouvé qu’il possédait toutes les qualités pour élaborer son propre long format. C’est désormais chose faite avec Maudit Beau, disque aux sonorités néo-soul et à l’esthétique funèbre paru à l’été 2023. Entretien.

Tu sors tout juste d’une heure de show. C’était bien ?  

Ike Ortiz : « J’ai été agréablement surpris. Je ne m’attendais pas à ce que les gens soient aussi réceptifs quant à ma prestation. C’est galvanisant, j’ai envie de remettre ça. Honnêtement, la scène c’est un truc qui me fait flipper, c’est d’ailleurs pour ça que j’aime en faire. J’essaie de me surpasser, ça me permet de voir si tout ce que je fais en amont s’est avéré payant. C’est un peu mon examen oral tu vois ? Je me laisse porter et c’est plus fort que tout. Limite quand je suis en train de chanter, je parle dans ma tête, j’analyse le truc. Le regard des gens est méga important aussi, ça me remet les pieds sur terre et ça me rend généreux. C’est un cheminement qui a toujours lieu dans ma tête quand je me produis ».

Ton nom est intimement lié au collectif genevois SuperWak Clique. Tu te souviens de la genèse du crew ?

IO : « Début 2014. Pour beaucoup d’entre nous, on végétait, et du coup on expérimentait sans cesse de manière exponentielle. Makala était ultra-productif par exemple. Tout ce qui lui passait par la tête il arrivait à le cristalliser sur papier. Varnish était déjà en place niveau production. Plein de frères gravitaient autour de nous : DeWolph, Daejmiy, Slimka, Mehdi Obams, Flowlly… on concentrait déjà une sacrée énergie créative. À un moment donné on s’est dit qu’il fallait encadrer tout ça autour d’une même bannière, c’est comme ça que la SuperWak Clique est née. Je trouve que toutes les personnes du collectif sont très fortes dans leur domaine de prédilection, et ça, encore aujourd’hui, c’est ce qui nous maintient. C’était juste logique qu’on se retrouve et qu’on crée quelque chose. C’est aussi la dalle qu’on avait qui a fait la différence, on est des super-héros, on défend la culture suisse. Quand on a commencé, il y avait tout à construire. On est allés au front avec nos propres armes et maintenant, quand je vois l’accomplissement de chacun, je réalise le chemin parcouru. On ne savait même pas où on allait, on s’est lancé dans le vide, certains n’ont pas tenu la cadence, d’autres ont su se relever de leurs échecs etc… Dans les années qui ont suivi la fondation de la SWK, j’ai expérimenté certaines déceptions, ça allait trop vite pour moi. Je n’étais pas près lors du passage de témoin on va dire. J’ai dû prendre conscience de ça pour mieux rebondir» .

photo de Ike Ortiz assis l'ors de l'interview
©Elie Vautey

Quel moment a été déterminant dans l’ascension du collectif ?

IO : « Je dirais le soir de la release party de Makala en 2014 à l’Undertown de Meyrin. Déjà, l’énergie de son show était différente de ses autres concerts mais surtout l’étendard SuperWak était présent pour de vrai. C’était mémorable, je pense que les personnes présentes se sont vraiment dit, okay, le collectif est en place ».

Tu sors ton premier EP Maudit Beau le 23 juin 2023, bien que tu sois actif depuis plus de 10 ans dans le son. Pourquoi autant d’années sans projet ?

IO : « Pour moi cet EP, c’est comme si je devais faire du ménage après 10 ans à remettre la tâche au lendemain tu vois ? Je dois t’avouer que je suis quelqu’un de totalement flemmard quand je ne suis pas stimulé artistiquement. Ceci dit, j’ai toujours gardé en tête le fait de rester actif via les featurings. Avec l’énergie de l’autre, j’étais ainsi stimulé. C’est lorsque je suis parti à Paris pour rejoindre l’école Kourtrajmé que j’ai eu un élan créatif soudain, du coup l’envie de concevoir un projet s’est immiscée de suite dans mon esprit. Quand j’ai rencontré le duo de producteurs AAyhasis et Astronote je me suis dit que c’était le moment ».

Comment s’est déroulée la conception de Maudit Beau ?

IO : « Elle s’est étalée sur une année, mais je pense qu’en l’espace de 3 mois on avait coffré les 6 titres. D’ailleurs, Homicide c’est le dernier morceau qu’on a conçu, en une journée c’était plié. Par la suite on s’est revu quelques fois pour les arrangements. Je pense qu’avec Maudit Beau j’ai osé me faire confiance, et à aucun moment je n’ai remis en question le concept du projet ».

En parlant de concept, il y’a un aspect très cinématographique qui se dégage au sein de l’esthétique de l’EP, je pense notamment à l’imagerie de Nosferatu…

IO : « Il faut savoir que j’aime beaucoup les affiches de cinéma des années 1920 à 1960, elles possèdent un cachet assez unique. Pour le concept de Maudit Beau, j’avais en tête un personnage laid, mais doté d’une voix séduisante, un monstre paradoxal en somme. Nosferatu s’inscrit dans cette logique, il a même une certaine prestance malgré son aspect sinistre. C’est ce que j’ai voulu retranscrire au niveau de la direction artistique ».

Au rayon featuring, on retrouve la chanteuse Mennel Salaam. Tu peux me raconter votre collaboration ?

IO : «J’ai tendance à être égocentré dans mon processus créatif. Je n’aime pas forcément qu’on écrive pour moi. Un jour, Mennel m’envoie un message sur Instagram suite à la publication d’une capsule vidéo. Elle me dit qu’elle adore ce que je fais et qu’elle aimerait rédiger un texte pour que je l’interprète. J’ai trouvé ça intéressant. Par la suite je l’ai capté une ou deux fois à Paris lors de la période d’enregistrement de l’EP. J’étais en train d’écouter le titre Il est tard chez elle et je bloque dessus car selon moi il manque quelque chose, je lui demande de tester sa voix et c’est comme ça que ça a pris, pareil pour Beau Cauchemar. Je trouve que Mennel est une artiste dotée d’une sensorialité rare ».

Autre invité de marque, le boss du funk marseillais Mofak pour la partie talkbox sur Immature.

IO : « Mofak, c’est AAyhasis et Astronote qui m’ont soufflé son blaze. C’est vraiment leur gars sûr. Une fois le titre enregistré, AAyhasis m’a proposé de caler de la talkbox dessus. Ils ont donc fait une session à Orléans et j’ai trouvé ça ultra-qualitatif ».

On a évoqué ta passion pour le ciné juste avant : pourquoi avoir rejoint l’école Kourtrajmé ? Quels artistes t’inspirent ?

IO : « J’ai toujours beaucoup aimé le cinéma, je pense que Kourtrajmé a été la suite logique de mon parcours. Au cours de mon cursus, j’ai beaucoup appris niveau prise de décision, rigueur et discipline. En bref des trucs clés pour ma carrière. Si je devais te citer des gens qui m’ont donné envie de faire ce métier je te dirais Denzel Washington déjà. Il met beaucoup de sa personne dans ses rôles, indépendamment de son jeu d’acteur. Il peut jouer un gars stylé, comme dangereux, comme exaspéré. Je trouve ça hyperpointu. J’aime le côté rustre de Tom Hardy aussi. Puis De Niro, j’ai vu plusieurs de ses films où j’ai ressenti de réelles émotions, comme si tout était vrai. En France, j’aime citer Karin Viard et Blanche Gardin, deux actrices qui m’inspirent par leur intelligence de jeu, leur lâcher-prise ».

On t’a notamment aperçu dans le spin-off de The Walking Dead centré sur Daryl Dixon. Comment as-tu obtenu le rôle ?

IO : « Le dernier exercice de la formation Kourtrajmé consistait à concevoir une pièce seul en scène et la présenter. J’ai eu du bol car le truc a manifestement bien marqué un des agents venu me voir, Antoine Clermont. Depuis lors, on bosse ensemble et il me place sur des castings comme celui de The Walking Dead : Daryl Dixon. Shoutout à lui ».

Tu peux me raconter ton apparition en featuring caché sur 200K de Tiakola ?

IO : « Le truc s’est déroulé de manière vraiment organique. Dans le sens où Tiakola m’a écrit poliment pour me dire qu’il m’avait découvert sur Hit Machine de Makala et qu’il était chaud pour enregistrer avec moi. C’est vraiment tombé de nulle part, si bien qu’au début je croyais que c’était un spam jusqu’à ce que Mennel me dise que c’était vraiment lui. On a d’autres sons coffrés lors de nos sessions. Je ne sais pas ce qu’ils vont devenir, affaire à suivre ».

C’est quoi la suite pour toi en 2024 ?

IO : « Le mois de septembre risque d’être bien sympa ! Je vais sortir un court métrage musical produit par The Spot et Désinvolte. Il sera accompagné d’un single ainsi que d’un EP cinq titres qui est en train d’être peaufiné ».

Portrait de l'artiste
©Elie Vautey
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François Graz
Article écrit par :
Oiseau de nuit accessoirement journaliste free-lance.

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