Interview: Ruff Mercy, Basquiat de Bristol

Image d'avatar de Eric RktnEric Rktn - Le 27 juin 2016

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Ruff Mercy s’appelle en fait Russ Murphy, un blaze trouvé juste en prononçant très vite son nom, une erreur tout ce qu’il y a de plus humain. Russ travaille dans l’animation depuis plus de quinze ans maintenant, dont trois passées chez MTV, où il y réalise les pubs et Les titres animés. Passé en free-lance, il enchaîne avec Nickelodeon et la BBC. Puis c’est le trou noir, avant de rebondir vers les clips vidéo et le hip-hop, en épinglant quelques pointures au passage comme A$AP FERG, Pusha T ou Danny Brown dans son style très dessin animé. Prochaine étape pour lui, l’exposition en galeries.

BEWARE : On pense que l’endroit où l’on grandit nous influence, c’était comment pour toi à Bristol ?

RUFF MERCY : Je n’y habite que depuis 4 ans et demi en fait, avant ça j’habitais Londres, et encore avant j’ai beaucoup voyagé à l’étranger. Bristol est vraiment cool, ses habitants sont super fiers de leur ville il y a une bonne scène musicale ici, et une bonne vie nocturne.

Et au niveau graphique ?

La plus grosse influence ici c’est Banksy et ses potes (originaires de Bristol ndlr), j’y ai rencontré pas mal de graffiti artists qui ont un travail allant des murs jusqu’aux galleries d’art. J’ai travaillé avec certains d’entre eux sur le clip de Run The Jewels que j’ai réalisé. En dessous de mon studio, j’ai vu le chef du bar écrire sur le mur dans une allée pas loin, c’est ce qui m’a donné l’idée pour le fond de “lie cheat steal”, big up d’ailleurs à JON5, SEPYR, ONGA…Quelque part, tu as probablement raison quand tu dis que l’environnement t’influence.

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C’est quoi ton rapport avec le hip-hop ?

J’ai grandi en écoutant beaucoup de rap US. Quand j’étais petit, je vivais en Allemagne parce que mon père était dans l’armée, les disquaires à l’époque préparaient les repas pour les militaires. Du coup j’étais en plein dans l’explosion d’artistes comme LL Cool J, Public Enemy, EPMD, Eric B & Rakim, Streetsounds, Stetsasonic les Beastie Boys…J’aimais bien aussi le folk, la soul, le blues, mais j’ai réduit à l’essentiel pour moi, le hip-hop. J’aime les rimes intelligentes, quand c’est trop simple, c’est pas pour moi.

Tu as commencé par faire de l’animation pour des publicités et la télé, et maintenant tu fais des clips. Qu’est-ce qui t’a fait basculer de l’un à l’autre ?

J’en avais marre de la pub. J’ai démissionné de mon poste de directeur créatif à Big Motion House, et je suis retourné vers le job que j’avais en sortant de mes études, c’était comme un grand pas en arrière du genre “mais qu’est ce que tu fous”. J’écoutais beaucoup cet album de Blu “below the heavens”, et je me suis rappelé avoir lu une interview où il disait qu’il ne fallait pas “devenir un vendu”, qu’il fallait faire son propre truc. Je lui ai envoyé un message sur MySpace et il m’a envoyé un morceau pour que je travaille dessus ! J’ai réalisé que c’était ce que j’avais toujours rêvé de faire, et j’ai poussé le truc à fond.

Quand tu dis “ne pas devenir un vendu”, ça sous-entend l’importance de travailler en freelance ?

J’ai grandi en écoutant beaucoup de groupes qui parlaient tous de ne pas devenir un vendu, d’une certaine manière, ce message s’est imprimé en moi et j’essaye de l’appliquer comme je peux. Je suis un vendu parfois, enfin je l’ai beaucoup été par le passé. Mec, quand ça m’arrive, ça me fait mal au ventre (rires). Mais l’idée d’être “un vendu” a changé. Regarde, par exemple Red Bull qui sponsorise la musique, personne ne s’en plaint, c’est plutôt OK, Nike qui te sponsorise, ou Adidas etc, c’est plus cool de travailler avec eux aujourd’hui qu’avant. Donc si on peut le faire avec ces marques là, pourquoi pas avec Walmart ? En gros, j’essaye de faire ce qui me semble bien, et je “me vends” pour payer les factures ou faire vivre ma famille. C’est une mentalité du genre “1 pour eux, 2 pour moi“, mais plus tu vieillis, plus ça devient dur de faire les choses que tu n’aimes pas.

Pour parler de ton style, est-ce qu’on dire sans se tromper que tu as été très influencé par Basquiat ?

(rires) Tu as bien compris que j’aime Basquiat. Ça n’a jamais été un style repris intentionnellement, il a toujours été une influence depuis que je suis petit, avec pleins d’autres types. Mais en fait, ma plus grande influence pour créer des visuels, c’est Madlib. Même s’il travaille sur le son et moi l’image, je me pose toujours la question “qu’est ce qu’aurait fait Madlib ?“. De la même manière, d’autres producteurs m’influencent comme Knxwledge, Samiyam, dibia$e, Jonwayne..

En parlant de Samiyam justement, c’était quoi l’idée du clip avec Earl Sweatshirt ?

En fait, je suis fan d’eux deux depuis un moment, mais aussi de Stones Throw Records, tous leurs artistes, et leur esthétique en général a toujours été une inspiration pour moi, du coup travailler avec eux a été génial. J’adore le son très rugueux de Samiyam, et je trouve que Earl est un personnage intéressant qui progresse de plus en plus. Bref, quand l’album de Samiyam est sorti, j’ai décidé de faire un loop vidéo pour le morceau “Dartgun”, que j’ai envoyé à Stones Throw pour voir s’ils en voulaient. Ce qui n’était pas le cas (rires). Mais quelques mois plus tard, ils m’ont demandé si j’étais partant pour travailler sur “Mirror” et si j’avais une idée pour le clip. Ça a mis un temps fou, à cause d’une mauvaise communication, qu’il fallait que ça soit validé par toutes les équipes…Et tout d’un coup, ils m’ont dit OK. J’ai bâti la vidéo autour de ce loop de Earl, en essayant d’expérimenter avec des collages, pour construire quelque chose d’organique. Ça a été approuvé deux jours plus tard par Earl et Samiyam, et c’est sorti dans la foulée.

Au début de notre conversation, tu me disais que le prochain grand pas pour toi serait d’exposer en galeries. La peinture statique par rapport à l’animation, c’est plus simple ?

Je suis attiré par la peinture en ce moment, parce que je travaille sur les sujets qui m’intéressent, et parce qu’un client ne me demandera pas de changer quelque chose s’il n’est pas content. Il y a moins de compromis dans la peinture. Les clips vidéos c’est bien, mais au final il y a ce côté où tu travailles pour quelqu’un, contrairement à la peinture où une personne achète quelque chose de déjà fini. C’est une vision idéaliste, mais pas vraiment pratique, je connais quelques artistes célèbres qui sont toujours fauchés en faisant ça…D’un autre côté, après avoir animé des vidéos pendant longtemps, j’aime l’idée de faire une image plutôt qu’en faire une centaine, si je fais une exposition je mélangerai les deux médias.

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C’est marrant de passer de l’animation au statique, j’ai toujours pensé que la suite logique pour quelqu’un faisant des clips était le dessin animé ou le film d’animation.

J’y ai pensé plusieurs fois, mais au fond je n’y vois pas l’intérêt…Je devrais essayer de mettre de la narration dans mes prochaines vidéos pour voir ce que ça donne.

En parlant de narration, tu penses quoi des nouvelles technologies immersives comme l’Oculus ? J’ai vu que Run The Jewels avait fait un live à 360 degrés.

Hmmm, je ne sais pas quoi en penser, je n’ai encore rien vu de très impressionnant. Je suis sûr que ça sera super dans le futur, mais pour l’instant, ça ne m’émeut pas plus que ça.

Tiens, comme tu as travaillé avec pas mal d’artistes, tu me conseilles qui en découverte ?

Tu devrais jeter un oeil à Notes To Self, c’est un crew de rappeurs de Toronto. Ils mettent tout leur coeur et leur âme dans ce projet, toujours avec des idées dingues. C’est à suivre.

Cette vidéo est le cliché même du groupe canadien ! Un truc qui n’a rien à voir: tu viens de Bristol, tu travailles dans le visuel depuis de nombreuses années, tu as même participé au projet rap Semi Hendrix du nom “breakfast at Banksy’s”. Depuis le début je me demande : tu pourrais être Banksy en fait.

Tu sais, la beauté de Banksy est que ça pourrait être n’importe qui…

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Eric Rktn
Article écrit par :
Poète en freelance, papa de Le Noeud Pap' Magazine. Twitter / Instagram: @eric_rktn

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