Alors que l’ère de l’autoportrait bat son plein, et que “l’enfer, c’est le selfie des autres”* prend tout son sens, des artistes optent pour des ailleurs inédits : paysages glacés, clichés à fleur d’épiderme, il s’agit avant tout d’aller au-delà des lieux communs, et gagner tant en sensations qu’en inattendu.
Photographe en âme et en action depuis son enfance, Jonk pratique l’exploration urbaine, aka, urbex (pour urban exploration): faisant fi de la notion de propriété privée ou de zones interdites, il confronte nos regards à des vestiges dévorés par le temps qui passe. Ses clichés, dont le grain reste d’une richesse rare, étonnent en changeant la vétusté en espace, le suranné en surprenante actualité.
Sillonnant l’Europe (France, Suisse, Royaume-Uni, Allemagne, Belgique, République Tchèque, Bulgarie, Roumanie, Ukraine, Pologne…), à la recherche de décombres méconnus, l’artiste offre une (belle) voix à ces espaces, témoins muets de souvenirs oubliés de tous.
Et tandis que les ruines se débarrassent, image après image, de leurs réputations peu recommandables, nos regards rêveurs se laissent à imaginer ceux qui, avant ces fissures et ce silence, s’épanouissaient en ces lieux, ramenés à la vie par ce créatif parisien.
Qui es-tu, Jonk?
Je viens du milieu du graffiti, et Jonk c’est mon blaze…j’ai mon boulot à côté, et je préfère rester anonyme.
Comment ce projet a-t-il commencé?
En 2010, je recherchais des lieux abandonnés pour faire des photos puis y faire des graffs. Ça a duré deux ans.
Ensuite, je me suis mis à chercher des lieux près de Paris, des simples hangars et entrepôts, mais où les graffeurs se rendent pour être tranquilles et peindre: je recherchais ces endroits pour y faire des photos.
Je me suis rendu compte que j’adorais l’atmosphère des ces lieux abandonnés, ces immenses volumes vides. J’ai tellement aimé ces atmosphères que je n’ai plus recherché les graffs qui y étaient mais plutôt les atmosphères propre à ces lieux. Et je me suis détourné des peintures: limite, maintenant, je préfère les endroits qui n’ont pas de graffs.
“Le plus dur, c’est trouver l’endroit, puis d’y entrer”
Depuis quand pratiques-tu la photographie?
En fait, depuis toujours. Enfant, j’ai commencé lors de mes premiers voyages en solo, avec un petit appareil compact.
Mes premières photos, c’était aux USA, où je me rendais tous les ans, pendant deux semaines, dans une famille d’accueil, un État différent de la 6ème à la Terminale. Donc, d’abord, ça a été des photos de voyage, puis je me suis tourné vers le street-art, il y a une dizaine d’année. Aujourd’hui, ça fait maintenant trois ans que je fais des photos d’endroits abandonnés.
Comment fais-tu pour pénétrer dans ces lieux?
C’est le plus dur, en fai t; trouver l’endroit, et ensuite y entrer. Après les photos, c’est limite le plus facile (rires). Quasi-systématiquement, ce sont des propriétés privées. Il faut enjamber des clôtures, passer sous des grillages, escalader des murs…
Et pour la lumière?
Oui, ce sont souvent des lieux peu éclairés, sombres, les volets sont condamnés, peu lumineux donc, d’où la nécessité de faire des poses longues et d’utiliser un trépied.
De plus, on a aussi souvent peu de recul car ce sont des pièces assez exigües, aussi je dois utiliser un grand angle.
Tu te rends seul dans ces lieux ?
Je suis très souvent tout seul, mais, plus ça va, plus je m’y rends accompagné, parce que c’est assez dangereux : ce sont des endroits vétustes, avec des planchers et des plafonds complètement pourris. Tu n’avances ni ne recules sans savoir où tu mets les pieds…
Tu peux en dire plus sur ce cliché pris dans une morgue ? Elle a presque l’air sympa quand on regarde ta photo…
Alors, ce n’était pas très loin de Paris : pour entrer, il fallait passer par une fenêtre laissée ouverte, tout était propre, sans aucun danger pour le coup…Mais ce n’est pas ma photo préférée, je l’ai mise parce que c’est atypique, mais elle est trop neuve, on ne voit pas assez que c’est abandonné…je voulais surtout élargir le spectre du genre d’endroits que je montre.
Tous ces lieux déserts, ce n’est pas un peu angoissant, en solo?
Même quand on y est à plusieurs, ça peut être angoissant : c’est mal éclairé, en ruine, on a parfois des pigeons qui surgissent de nulle part, des clapotements d’eau suspects…
Tu as des ambiances de prédilections?
Ce que j’aime, c’est l’impact du temps qui est passé: les murs qui s’effritent, les plafonds qui commencent à s’écrouler, le lierre qui entre…
Avec ta page FB, quelle a été la réception du public?
Je voulais vraiment montrer mes photos, gagner en visibilité et commencer à me faire un nom. Petit à petit, ça a commencé à monter. Ce qui m’a beaucoup aidé, c’est mon exposition à la mairie du XXème, ça m’a donné une grosse visibilité, avec environ 5.000 personnes qui se sont inscrites comme participantes. Il y avait tellement de monde que je ne suis même pas parvenu à parler à mes proches, venus pour l’occasion!
Quelles sont tes inspirations en tant que créatif?
Je suis très cinéphile. Parmi mes coups de cœur: La Grande Bellezza de Sorrentino, pour n’en citer qu’un.
Quels sont tes projets à venir?
J’ai deux autres expos en préparation, je communiquerai là-dessus prochainement sur ma page FB. Ensuite, je suis en pleine préparation d’ouvrages compilant mes travaux.
Prochain voyage?
Les Balkans, pendant quelques semaines, où j’ai déjà repéré bon nombre d’endroits abandonnés.
Quel temps consacres-tu à ton art et jusqu’où peux-tu aller pour obtenir les photos que tu souhaites?
J’y travaille tous les soirs et week-end, non-stop. Ça me prend énormément de temps.
Quant à jusqu’où je peux aller, je m’intéresse également aux anciens édifices érigés sous des régimes communistes. Aussi, en un week-end, j’ai fait un A/R pour la Bulgarie uniquement pour photographier l’ancien siège du Parti communiste, qui se trouve en haut d’une montagne.
Je me suis également rendu à Tchernobyl pour visiter la zone d’exclusion, dans un rayon d’environ 30 kilomètres autour de la centrale.
Pour finir: trois mots qui te définissent?
Aventurier
Voyageur
Solitaire
Le site de Jonk, ici
* libre interprétation d’une réplique de “Huis clos”, de J-P Sartre
A écouter en sautillant entre les gravats:
Plus d’article concernant le photographe JONK :
- Jonk sort son cinquième livre Good Bye Lenin et explore les ruines de l’ex URSS.
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