Avec entre autre le moindre des outils mis à sa disposition, le fusain, Piene s’applique ainsi à rendre compte des passions humaines essentiellement par la représentation du corps. Des traces fumées et grasses obscurcissent parfois les articulations de ses sujets tandis qu’à d’autres endroits, un effleurement met en lumière le détail-clé qui rendra ses dessins “exacts”. (voir Le Cyclope).
La justesse que Piene parvient à conserver dans un travail aussi éclaté que celui du brouillon vient d’abord de son modèle même -la passion humaine- qu’elle s’attache à révéler comme étant un facteur tragique mais vital. En dépossédant le plus souvent le corps de ce qui signifie la vie humaine dans sa chair (l’expression des yeux, d’un visage), Chloe Piene rend à la passion sa véritable éloquence: c’est en effet précisément grâce à la plus grande sobriété qu’elle parvient à faire un rendu aussi cru (et aussi juste) du grandiose et de la violence passionnels.
De ce rendu très juste que Piene fait de la passion découle inévitablement une dimension malsaine qui vient choquer la pudeur du spectateur. Cette malsanité est d’autant bien sentie qu’elle reste indissociable de la passion lorsqu’elle observée (et exposée) de sang-froid. Par ailleurs on retrouve également dans ses croquis une molesse et une désarticulation du corps qui, malmené par les tourments humains, soumis à la passion, se montre ainsi plus que jamais périssable et vulnérable, et émeut de fait plus que jamais le spectateur qui les voit. C’est en cela aussi que se résume le talent de Chloe Piene: dans ce don de choquer et d’attendrir à la fois son public.