jeune fille qui nous regarde derrière son épaule

La Jeune Fille à la Perle de Johannes Vermeer, une œuvre intemporelle

Image d'avatar de Lucie SolLucie Sol - Le 3 juillet 2023

On ne compte plus le nombre de fois où le tableau La Jeune Fille à la Perle de Johannes Vermeer, peint en 1665, a été repris et revisité par des artistes contemporains. Et pourtant, ce chef d’œuvre n’a pas toujours connu pareil engouement, et a même mis plusieurs siècles pour sortir de l’indifférence populaire où il avait été laissé. Quelle est son histoire, et d’où vient cette fascination pour l’œuvre ?

jeune fille qui nous regarde derrière son épaule
Johannes Vermeer, La Jeune Fille à la Perle

La Jeune Fille à la Perle, autrement appelée La Jeune fille au turban en raison du turban bleu et jaune qui entoure les cheveux de la femme représentée, est une œuvre emblématique de l’âge d’or de la peinture néerlandaise du XVIIe siècle. La posture délicate de la tête, le regard et la curieuse perle qui luit à l’oreille de la jeune femme sont autant d’éléments qui expliquent en partie l’intérêt et la fascination autour de cette œuvre, revisitée à de multiples reprises par des artistes variés.

L’histoire de l’œuvre

Un « tronie » néerlandais

Le XVIIe siècle est considéré comme le siècle d’or néerlandais. Cette période artistique se caractérise par la multiplication de genres picturaux divers, souvent empreints d’un réalisme hérité de l’art primitif flamand (XVe-XVIe siècles). Elle est contemporaine de la peinture baroque flamande, qui privilégie quant à elle la splendeur et l’outrance.

Le portrait est le deuxième genre de peinture le plus valorisé à l’époque, après la peinture d’histoire. C’est dans cette catégorie que s’inscrit La Jeune Fille à la Perle de Vermeer (1632-1675), et plus particulièrement dans le « tronie ». Celui-ci renvoie à un type de tableau combinant à la fois portrait, peinture historique et peinture de genre ; ce qui importe n’est pas tant de peindre l’identité du modèle en particulier qu’un caractère. Le personnage représenté est fréquemment seul, parfois avec des accessoires. Si le tronie évoque souvent des portraits grotesques et exagérés, il peut également simplement caractériser un portrait pris sous un angle particulier.

A ce titre, La Jeune Fille à la Perle de Vermeer correspond tout à fait à cette définition en tant que la posture de côté, la tête tournée de trois-quarts vers celui ou celle qui regarde, ainsi que les accessoires (turban, perle) particularisent vraiment cette jeune femme qui nous fait face.

Des influences italiennes

La peinture néerlandaise de l’époque est également très influencée par la peinture italienne, et en particulier par le caravagisme. On parle même de « caravagisme de Delft », ville dans laquelle vit Vermeer. Celui-ci possède des connaissances fines de l’art italien, et il n’est pas étonnant que tout cela se ressente dans La Jeune Fille à la Perle ; dans le clair-obscur employé par Vermeer qui rappelle ceux de Caravage, dans la posture de la jeune femme… Celle-ci est inspirée des tableaux italiens de Raphaël, Titien et même de Léonard de Vinci, duquel Vermeer emprunte également des techniques.

un jeune homme nous regarde derrière son épaule
Raphaël, Portrait de Bindo Altoviti

Sa réception

D’une réputation limitée à l’engouement

L’artiste connaît une réelle notoriété de son vivant, mais restreinte à sa ville de Delft, sa réputation ayant du mal à s’étendre au-delà. Cela explique en partie le fait qu’il tombe dans l’oubli après sa mort, en plus du fait qu’il n’avait produit que très peu de tableaux. S’il reste connu des collectionneurs du XVIIIe siècle, il ne sera réellement redécouvert par le grand public et par les historiens d’art qu’au XIXe siècle, notamment grâce aux hommages de Marcel Proust et du journaliste Thoré-Burger.

Il est depuis considéré comme l’un des peintres majeurs du siècle d’or néerlandais, et ses œuvres comme La Jeune Fille à la Perle mais aussi La Laitière font partie des œuvres les plus célèbres de l’histoire. La Jeune Fille à la Perle est redécouverte en 1903 après avoir été acquise par le musée du Mauritshuis à La Haye (Pays-Bas), où il est toujours conservé.

femme qui verse du lait dans un pot
Vermeer, La Laitière

Une œuvre mystérieuse

La fascination provoquée par cette œuvre peut s’expliquer notamment par le mystère qui plane autour de celle-ci : quant à l’identité du modèle (était-elle l’une des filles de Vermeer ? n’a-t-elle existé que dans l’imagination du peintre ?) mais aussi quant à sa posture. En effet, Vermeer donne l’impression d’avoir capturé un instant éphémère, et on s’attend à voir la jeune femme détourner sa tête d’une seconde à l’autre. A quoi pense-t-elle, que fait-elle, les yeux grands ouverts, la bouche humide ?

Toutes ces questions qui animent celui ou celle qui contemple le tableau participent à son envoûtement. Certains penchent pour une position de séduction, d’autres pour la tristesse, d’autres enfin pour l’innocence… sans que l’on puisse – ni que l’on veuille vraiment, en vérité – réellement trancher. Le turban confère également un certain exotisme à l’œuvre, et ajoute de fait à son mystère, car l’accessoire transporte la jeune femme dans un éloignement géographique et culturel inhabituel.

Une source d’inspiration inépuisable

Pour les artistes

L’influence de La Jeune Fille à la Perle de Vermeer est telle que l’œuvre est pastichée par le célèbre street artiste Banksy en 2014. Celui-ci la reproduit sur les murs de Bristol (Angleterre), d’où il serait peut-être issu, et remplace sa perle par un boîtier d’alarme. Le dialogue entre les époques, les lieux, les techniques et les artistes ne s’arrête pas là puisque l’œuvre de Banksy est elle-même modifiée, et la Jeune fille se retrouve affublée d’un masque en pleine crise du Covid, en 2020.

jeune fille, perle à l'oreille remplacée par un boîtier d'alarme sur le mur
© Banksy
jeune fille de banksy avec un masque covid

La Jeune Fille à la Perle est également présente en littérature, notamment avec le roman historique du même nom écrit par Tracy Chevalier qui imagine la création de ce chef d’œuvre. Celui-ci paraît en 1999 et connaît une adaptation cinématographique en 2003 par Peter Webber, ce qui contribue à nouveau à diffuser l’œuvre au grand public et dans le monde entier.

L’œuvre donne également lieu à de nombreuses reprises d’amateurs, notamment dans le cadre de l’exposition organisée par le musée Mauritshuis qui ouvre ses portes à des reproductions de son œuvre phare, en l’absence de celle-ci. Sur les 3800 propositions envoyées, seules quelques-unes ont été sélectionnées et exposées : mais l’une d’entre elles fait polémique et place La Jeune Fille à la Perle au cœur des débats actuels… en raison du fait que l’artiste n’est autre qu’une IA, Midjourney.

femme avec des perles illuminées
© Julian_Ai_Art sur Instagram et sa reprise de La Jeune Fille à la Perle avec l’IA

Pour la société

La Jeune Fille à la Perle peut aussi faire l’objet de reprises par des publicitaires, comme par Lego ou Chanel. Cette façon de jouer avec une œuvre connue de toutes et tous peut aussi être investie à des fins bien différentes, non plus artistiques ou publicitaires mais militantes ; c’est ainsi qu’en 2022 trois membres du collectif écologiste Just Stop Oil s’en prennent à la Jeune Fille à la Perle, l’un d’eux se gluant littéralement le crâne au tableau. Celui-ci étant protégé, l’acte ne l’endommage pas mais constitue une vraie manifestation politique, en s’appuyant sur une œuvre d’art célèbre pour dénoncer par cette dégradation feinte le sort fait à la planète.

deux hommes devant La Jeune Fille à la perle, collés au mur ou au tableau
© Twitter, Just stop oil, 27 octobre 2022 au Musée Mauristhuis (Pays-Bas) sur La Jeune Fille à la Perle de Vermeer
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Lucie Sol
Article écrit par :
Etudiante en Lettres Modernes à l'ENS de Lyon, je suis passionnée par l'art, la culture, la littérature et leur partage. J'aime particulièrement les œuvres qui interrogent des problématiques actuelles majeures comme le féminisme et l'écologie, ou qui questionnent les liens entre images et mots. Je vous souhaite une bonne lecture !

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