La première scène d’une longue série se déroule dans l’obscurité naissante de la cité nantaise. Il n’y a qu’une demi-heure que Laurent et Héloïse se connaissent, et c’est pourtant ensemble qu’ils vivront chacun leur baptême. Pour elle, en tant que modèle. Pour lui, en tant que photographe.
C’est peut-être la magie de cette incongruité mêlée aux 15 ans de direction artistique du « traiteur d’image » et cette longue période passée enfermé à cause de ses angoisses qui ont donné un tel résultat. Quoi qu’il en soit, la série Mullholand était née, la machine était lancée.
Depuis, Laurent Castellani fait des images et vogue de projets en projets ; constamment à l’affut de nouveaux lieux, modèles, beauté – au cœur de sa démarche -, …
On vous présente le portrait d’un photographe hors-normes avec lequel nous avons pu nous entretenir.
Laurent Castellani : la photographie pour « s’ouvrir à l’extérieur et toucher le monde. »
L’œil et la sensibilité artistique dont Laurent Castellani fait preuve est le fruit d’années d’expériences en tant que directeur artistique (depuis 2001) additionnées aux événements personnels qui furent pour lui des tournants.
L’un d’entre eux a lieu au cours de sa vingt-cinquième année. Fraîchement propriétaire, il va petit à petit développer une agoraphobie (peur des lieux où il serait difficile ou gênant de s’échapper ou d’être secouru) qui, pendant des années, viendra perturber son quotidien. C’est alors que sa vie s’organisera autour de ces peurs, le menant à s’enfermer dans son travail et à se faire connaître par de nombreuses agences pour la qualité de son travail. Il oeuvrera ainsi pour de grands clients, dans le luxe notamment, comme Armani ou Vuitton par exemple. D’ailleurs, ce passé s’en ressent dans la minutie des photos réalisées aujourd’hui.
Cette période d’auto-confinement est propice au visionnage d’un grand nombre de séries et de films. Les heures passées en compagnie de David Lynch seront déterminantes pour les projets du futur photographe, bien que d’autres films comme ceux de Tarantino restent pour lui des références incontournables.
2016 sera une année clé pour le directeur artistique qui parvient désormais peu à peu à sortir de chez lui, bien que toujours proie aux angoisses. Il réalisera alors un court-métrage pour Bose qui obtint 200 000 vues en une semaine et sera reprise. Cette vidéo eut tant de succès que la marque le contactera pour un contrat. Ce fut là le début d’une aventure pour Laurent Castellani, qui finalement se mettra un an plus tard à la photographie.
Cette passion pour la réalisation et la photographie, il l’explique par une envie de s’exprimer et de sortir des frontières pour toucher le monde. Lorsqu’il en parle, l’émotion est palpable. La photographie lui permet de s’ancrer dans le réel et est une activité « moteur ». Elle fut un facteur déterminant qui lui a permis et lui permet encore aujourd’hui d’aller au-delà de sa phobie pour sortir et rencontrer du monde. En un mot (les siens), elle fait avancer les choses.
Un « traiteur d’image » en quête de beauté
Pour que la photo reste une passion, Laurent Castellani a fait le choix de ne pas en faire son métier. Ainsi, il alterne entre son activité de directeur artistique et celui de « traiteur d’images » qu’il voit comme complémentaires. L’une lui ayant permis de développer le regard et le sens du détail nécessaires à l’autre. Et c’est pour lui ce qui permet à un bon photographe de se démarquer, la pièce maîtresse de photographies réussies : l’œil. Selon lui, un photographe – amateur ou professionnel – aura beau avoir un excellent matériel, une bonne exposition ; s’il n’a pas « l’œil », il ne saura voir ce qui est fondamental et fera qu’un cliché sera beau d’un point de vue universel. Il pense par ailleurs que le goût et l’art de faire de belles choses vient de l’environnement qui vient façonner « l’œil ».
Lorsqu’on lui demande s’il souhaiterait en vivre, Laurent Castellani nous confie que bien qu’il adore l’activité de photographe, il déteste le métier. Cette « aversion » va jusqu’à ne pas supporter le terme de « photographe ». C’est pourquoi il préfère que l’on utilise le terme de « traiteur d’images ». Il explique cela par le fait qu’il ne veut pas s’imposer de contraintes (deadlines, budgets,…) dans ce domaine. Un autre argument présenté est que dès lors que ce type d’activité devient un métier, elle devient par la même occasion ennuyeuse. Pratiquer la photographie en tant que passion et non pas en tant que gagne-pain lui permet de rester libre dans sa vie comme dans son art. Pour lui, il est difficile d’envisager l’association entre argent et art. Par ailleurs, l’argent n’est pas le reflet de la qualité de l’œuvre. Certains artistes vont être extrêmement bons et ne rien vendre… et vice et versa arugmente-t-il. Ce qui compte, c’est que le cliché plaise au plus grand nombre. Mais ce qui plaît au plus grand nombre ne signifie pas qu’il est mieux que les autres, et d’ailleurs « […] on ne peut quantifier cela », nous dit-il.
Ce qu’il y a d’hors-normes chez ce « traiteur d’images » Nantais est qu’il doit adapter son activité aux contraintes que lui impose son agoraphobie. Et ce n’est pas chose facile au quotidien, d’autant que son profil et son style sont liés au monde particulièrement prisé du luxe, qui, lui aussi, présente ses règles et ses contraintes. Parmi elles : le fait que tout – ou presque – se déroule à Paris … tandis qu’il n’est pas possible pour Laurent Castellani se déplacer vers la Capitale. Cela lui a par ailleurs valu de refuser plusieurs contrats, à regret…
Alors que ses confrères se déplacent constamment pour concrétiser, diversifier leurs projets et répondre aux contrats qui leurs sont proposés, notre artiste s’accommode des limites qui sont les siennes et pour cela fait preuve d’une grande créativité. Une démarche qui le différencie des autres et qui donne à son travail une certaine valeur, vecteur d’un message dont nous devrions nous inspirer : nos limites ne doivent pas nous empêcher de faire quoi que ce soit.
Ainsi, il sillonne la métropole en mode solo dans sa voiture, le plus souvent la nuit, à la recherche d’endroits qui s’apparenteraient à la Californie. Il aime ces moments où la ville s’offre à lui. Son objectif est de trouver cette « ambiance motel » que l’on retrouve dans les films de Lynch ou de Nicolas Winding Refn (réalisateur de drive).
« Je fonctionne par coup de cœur d’un lieu, je fais toujours ce lien entre l’approche des réalisateurs que j’admire et j’essaye d’imaginer le modèle et la lumière. »
Une fois le lieu choisi, il peut imaginer le modèle qui donnera vie au tableau.
Un opus en deux chapitres
En découvrant le portfolio de Laurent Castellani, ce qui saute d’abord aux yeux est qu’on n’y trouve que des modèles féminins – malgré quelques fleurs parsemées sur son compte Instagram. Est-ce un choix ? Un concours de circonstance ? Un message ?
À cette question, la réponse est claire : il s’agit d’un choix, lié à sa fascination pour les belles femmes. Non pas une fascination qui serait palpable ou physique, mais une fascination pour la beauté.
« Je préfère magnifier une femme plutôt que d’aller boire un verre avec elle. Il n’y a pas d’ambigüité. »
Ces femmes, il les découvre autant dans des situations quotidiennes (croisées dans la rue ou chez Zara par exemple), que par le biais d’agences. Il alterne, car l’expérience ne sera pas la même selon s’il s’agit de modèles « amateurs » ou professionnels, mais aussi parce que le rendu sera sensiblement différent, mais toujours intéressant.
Ses photos de nuit racontent une histoire. En particulier la série Mulholland qui sort directement des films de Lynch, fruit du confinement conséquentiel à sa phobie.
On peut, d’après Laurent Castellani, faire le parallèle entre cette période où il ne pouvait plus sortir de chez lui et les films de Lynch qui mêlent rêve et réalité. En effet, « […] à force de rester enfermé sans pouvoir sortir de chez soi, on finit par confondre les deux. On se dit que l’on va finir par sortir de ce cauchemar. Le cauchemar et la réalité se mêlent ». Cette série raconte ce qu’il a imaginé tout ce temps où il était chez lui.
Justement, sans plus parler de la démarche dans laquelle s’inscrit son travail, parlons du résultat ; et donc des clichés que l’on retrouve sur Instagram ou son site. Dans ces derniers, la recherche de la beauté nous saute aux yeux. Les images sont immaculées, les couleurs et les contrastes nous paraissent parfaits, les modèles évanescents paraissent venir d’un autre temps et nous subjuguent de leur beauté et par leur singularité.
Ils pourraient se diviser en deux grandes parties selon leur auteur, deux grands chapitres. Le premier, raconterait un « univers nuit », très Lynchien, et très coloré avec une ambiance onirique. Le deuxième, transcrirait un côté beauté, très close-up, majoritairement constitué de visages, que le photographe aime atypiques.
Pour retrouver cet opus, rendez-vous sur son Instagram ou son site.
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Et, petit bonus que nous a livré Laurent Castellani à l’issue de son interview : vous pourrez vous procurer un livre fait de ses photographies dès le mois de novembre ! Stay tuned !