Immortaliser Nanterre, banlieue dont il est originaire. C’est l’idée qu’a eu Laurent Kronental à travers sa série de clichés consacrés aux tours Nuages, cité imaginée et conçue par l’architecte Émile Aillaud. L’inédit réside ici dans le fait que l’objectif du photographe a été posé à l’intérieur même des immeubles. La série intitulée « Les yeux dans les tours » offre ainsi une vision encore jamais vue de l’ensemble immobilier le plus populaire de la ville des Hauts-de-Seine.
Auteur de « Souvenir d’un Futur », témoignant de la vie des seniors dans les grands ensembles de la région parisienne, Laurent Kronental sillonne la banlieue depuis 2011. En particulier la cité Pablo Picasso, un quartier pas comme les autres. Il aura fallu deux ans à notre chasseur d’images pour enfin réussir à s’inviter derrière les fameuses fenêtres en forme de gouttes d’eau qui toisent la cité. Il reconnaît : « photographier y est parfois difficile sans une personne relais pour m’assister… ».
Situées dans ce quartier de Nanterre, les tours Aillaud ont été nommées d’après leur architecte, Emile Aillaud, qui supervisa leur construction de 1973 à 1981 : ces dix-huit tours comptent plus de 1 600 logements. A présent connues comme les tours Nuage, classées au titre des monuments historiques comme ” ensembles de logements en Ile-de-France 1945-1975 “, tout comme leurs jardins depuis 2010, elles doivent faire l’objet d’un programme de rénovation intensif.
A travers cette interrogation intime, Laurent Kronental entre chez les habitants des tours, fait découvrir leur vie et surtout leur vision sur le tissu urbain dense de Nanterre. Les objets intérieurs répondent aux objets extérieurs, les immeubles, visibles à travers le cadre de la fenêtre, en quête d’un ciel que l’on voit finalement assez peu mais qui est néanmoins présent, comme le démontre l’existence de ces gratte-ciels, aux formes parfois insolites. Un regard neuf, au sens où ” regard ” est aussi un synonyme de fenêtre.
Fasciné par l’« allure rétro-futuriste » de la cité
Ce rôle de médiateur incombera à Mohamed, 35 ans, une figure de Pablo Picasso connue dans tout le quartier pour vendre du thé à la menthe au pied des tours depuis plusieurs années. Avec lui, Laurent Kronental fera peu à peu sauter les verrous et apprivoisera, au fil des semaines, les locataires des tours Aillaud. Suffisamment en tout cas pour installer son appareil photo grand format, une chambre argentique, dans l’intimité de dizaines d’intérieurs. « Parmi ces locataires, certains étaient enthousiasmés par mes clichés, confie aujourd’hui le photographe. D’autres, en revanche, étaient davantage surpris par l’intérieur de leur voisin, l’agencement, le mobilier… »
Ce qui fascine cet enfant de Courbevoie réside dans l’esthétique même de l’ensemble urbain, « la forme cylindrique des logements » et leur « allure rétro-futuriste ».
« Cet ensemble captive par ses lignes, sa taille, ses façades aux mosaïques colorées et ses fenêtres étonnantes semblables à des hublots, insiste le photographe. De l’extérieur, ces tours me font penser à des maisons troglodytes aux ouvertures creusées dans la roche. » Avec « Les Yeux des Tours », Laurent Kronental fait surtout le choix de rendre un hommage appuyé au « rêve futuriste des bâtisseurs » et notamment à l’imaginaire d’Emile Aillaud.