Élément originel et central du street art, vous avez sans doute déjà pu en apercevoir ces dessins ou ces inscriptions faits à la bombe de peinture sur des ponts, des murs d’usines abandonnées, dans des toilettes publiques, sur des transports en commun… Le graffiti offre un moyen d’expression à ciel ouvert à celui qui le dessine. Si certains y voient un acte de vandalisme, le graffiti n’en reste pas moins une forme d’art à part entière.
Dans cet article :
Les origines du graffiti
C’est à la fin des années 1960 que le graffiti fait son entrée dans l’histoire de l’art. Son créateur est un artiste surnommé Cornbread. Darryl McCray, de son vrai nom, habitant de Philadelphie, décide un beau jour avec son groupe d’amis d’écrire leurs noms à la bombe de peinture sur les murs de la ville. Enfin non… Il décide plus précisément d’écrire “Cornbread loves Cynthia” (“Cornbread aime Cynthia” en français).
Car oui, comme derrière de nombreuses œuvres d’art se cache au départ une histoire d’amour. Cornbread souhaitait d’abord attirer l’attention de sa dulcinée. Par la suite, ses amis et lui ont continué à taguer leurs noms, au point d’envahir les murs de leur quartier et de toute la ville de Philadelphie.
Le phénomène intrigue et la presse locale décide de s’y intéresser. Et c’est en 1971 que Cornbread assoit sa réputation en tant que père fondateur du graff. Cette année là, un jeune homme du nom de Cornelius Hosey est abattu lors d’une guerre des gangs et les journaux de Philadelphie l’identifient à tort comme étant Cornbread.
Il décide alors de faire un retour captivant et inhabituel pour attirer l’attention des médias. Il se met à “bombarder” tout le zoo de Philadelphie avec sa peinture et finit par écrire “Cornbread Lives” (“Cornbread vit” en français) sur un éléphant apprivoisé qu’il avait rencontré quelques jours auparavant. S’il finit par être arrêté et condamné à quelques jours de travaux d’intérêt général, une nouvelle forme d’art entre dans l’histoire.
Très vite, le graffiti va être perçu comme une forme de vandalisme par certains. En 1984, le maire Wilson Goode décide de fonder le réseau anti-graffiti pour empêcher les jeunes des quartiers défavorisés de taguer. Il fait alors appel à Jane Golden pour l’aider; cette peintre murale transforme le réseau en programme d’art mural, le plus grand programme d’art public des États-Unis, appelé le Mural Arts Philadelphia (MAP).
Son crédo ? “L’art provoque le changement”. L’artiste travaille avec des adolescents à risque et ensemble, ils créent des fresques murales dans toute la ville, acquérant au passage des compétences professionnelles pratiques. Aujourd’hui ce programme MAP compte plus de 3000 graffitis à son actif.
La réappropriation new yorkaise
Peu à peu, le graffiti s’exporte et arrive dans les rues de New York dans les années 1970. A la Grosse Pomme, il est surtout associé au mouvement jazz. Les jeunes artistes afro-américains qui occupent alors très souvent les bas-fonds de la ville ont ce désir de se faire remarquer de tous. C’est pour cela qu’ils vont commencer à poser leurs œuvres sur les murs.
A New York se développe aussi le courant des writers (les écrivains en français). Ce sont des graffeurs qui bombardent uniquement leurs prénoms ou pseudonymes. Le plus célèbre d’entre eux est Taki 183.
Demetrius, de son vrai nom, est un artiste de rue d’origine grecque. Son tag “Taki” est une abréviation de Demetraki, nom alternatif de Demetrius. Le nombre 183 quant à lui provient de son adresse sur la 183e rue, dans le quartier new-yorkais de Washington Heights.
Le graffeur a commencé à inscrire son pseudo dans son quartier avec un ami, puis à décider de s’étendre dans toute la ville, sur tous les supports possibles : métros, immeubles, affiches… A tel point que lui aussi finit par attirer l’attention de la presse locale. Taki 183 devient alors le premier graffeur à avoir son article dans le célèbre magazine New York Times.
Les jeunes le prennent en modèle et des groupes commencent à se former pour gagner en visibilité auprès de la population. The Nation’s Top, The Crazy Inside Artist ou encore les Soul Artists sont les plus connus. Faire partie d’un groupe devient l’étape ultime pour n’importe quel graffeur, celle de la reconnaissance. Ils envahissent les rues en recouvrant chaque recoin de leurs tags. C’est la naissance du street art.
Le graffiti en France
C’est avec le mouvement de Mai 68, que les inscriptions sur les murs font leur apparition en France. Dans ce contexte d’émeutes, la rue devient le lieu d’expression et de revendications. Mais il faut attendre les années 1980 pour que le graffiti, sous sa forme américaine, traverse l’Atlantique et atterrisse chez-nous.
Il naît dans les rues parisiennes sous les aérosols de Bando. Il découvre cet art sur les métros new-yorkais et décide en 1983 de fonder le premier crew français de writers : le Bomb Squad 2. Son talent se fait remarquer au-delà de la capitale française, grâce au livre Spraycan Art, publié en 1987, et le graffeur côtoie alors des artistes américains, anglais ou encore néerlandais.
Le graffiti, élément central de la culture hip hop
Si la culture du rap et du DJ, qui vont devenir la composante musicale du hip-hop, existe déjà en tant que phénomène indépendant depuis quelques années, dans les années 1980, la presse va lui créer un lien avec l’art du graff.
C’est sous la plume de Richard Goldstein que l’association au rap se fait pour la première fois dans un article paru en 1980 dans le Village Voice. Journaliste influent et critique culturel, Goldstein avait publié, sept ans plus tôt, le premier article grand public à parler favorablement des graffitis.
En 1981, Henry Chalfant, qui photographiait depuis quelques années déjà les graffitis sur les wagons du métro – images qu’il publiera peu après dans Subway Art – organise une performance où se mêlent graffitis, rap et breakdance. Puis en 1982 a lieu le New York City rap tour, qui réunit à Londres et à Paris certains des plus grands musiciens de rap, breakdancers et writers dans un spectacle qui a été pour beaucoup d’Européens le premier contact avec ces cultures.
De plus, de nombreux clips musicaux de rap de l’époque comprennent des scènes de graffiti. Le plus important d’entre eux est Buffalo Gals, produit par Malcolm McLaren en 1983, qui a permis au monde d’assister pour la première fois à la création en direct d’un graffiti par le légendaire writer Dondi.
A cet instant, le graffiti devient indissociable de la culture hip-hop et devient le signe de protestation par excellence de ce mouvement.
Mais au fait : c’est quoi l’intérêt du graffiti ?
Le graffiti est avant-tout une forme d’expression personnelle. Que ce soit pour faire passer un message politique, une déclaration d’amour ou autre, chaque artiste a autant de raisons qui lui sont propres de prendre ses bombes et de colorer les murs des villes.
Certains graffeurs se considèrent même comme des révolutionnaires luttant contre les restrictions et les codes du marché de l’art ou le système de galeries. Certains considèrent également leurs créations sur les espaces publics et privés comme une déclaration contre les idées occidentales de capitalisme et de propriété privée.
Le fait de créer dans la rue permet aussi une visibilité et une reconnaissance de son talent. Peu importe la raison ou le message derrière un graffiti, ce qui compte c’est le plaisir que prend l’artiste à graffer.
Quelle est la différence entre le tag et le graffiti ?
Tag, graffiti, deux termes qui reviennent souvent lorsqu’il est question de street art. Mais existe-t-il une différence entre les deux ? Eh bien oui. Le tag est la signature, d’un nom ou d’un pseudo, qui se fait de manière rapide et souvent illégale. Un graffiti est quant à lui une œuvre à part entière dont la réalisation est souvent réglementée, il nécessite plus de technique artistique et de temps.
Le but du tag est de montrer qu’un artiste est passé par tel endroit, comme un signe identitaire avec lequel il s’approprie le lieu et le support. Les graffeurs sont appelés les writers.
Un tag peut être considéré comme un graffiti mais de manière générale, un graffiti n’est pas forcément un tag.
Le graffiti est une véritable œuvre-d’art qui répond à plusieurs techniques (dessins faits à l’aérosol, à main levée ou à l’aide de pochoirs et de collages). Cela permet aux graffeurs de créer des fresques murales uniques en leur genre. En parallèle, la notion de légalité commence de plus en plus à être remise en cause. En effet, certaines villes vont jusqu’à mettre à disposition des artistes de rue des espaces dédiés à leur création.
Le graffiti : un art qui s’expose désormais en galerie
Le graffiti, à contrario du tag, est devenu un art à part entière. S’il est apparu dans la rue, aujourd’hui il trouve sa place dans les galeries d’art. Sa première entrée s’est faite avec des artistes comme Skki ou Lokiss. Les toiles ont remplacé les murs et cela n’a toutefois pas manqué de créer un fossé entre les graffeurs de galerie et les artistes de rue. Ces derniers attestent que : « ce qu’est un graffeur dans la rue ne vaut rien en galerie ».
S’il y a un véritable débat quant à la place du graffiti, cela aura au moins permis d’obtenir le statut d’art et de contribuer encore plus à sa popularité.
Pour aller plus loin
Les livres incontournables sur le graffiti :
- Subway Art de Martha Cooper et Henry Chalfant : publié dans les années 1980, il est LE livre iconique sur l’art du graffiti. Grâce aux photos qu’il contient, il a permis aux artistes du métro New-Yorkais de sortir de l’anonymat ouvrant la voix à toute une génération de graffeurs en herbes !
- Spraycan Art d’Henry Chalfant : considéré comme le petit frère de Subway Art et paru en 1987, il est le premier ouvrage à mettre en avant le travail de graffeurs internationaux.
- Une STREET histoire de l’art de Cyrille Gouyette : ce livre est constitué d’un travail de recherche qui fait la passerelle entre l’histoire de l’art et le street art.
- Pourquoi l’art est dans la rue ? de Codex Urbanus : un essai, loin de toute consensualité, qui, par la plume brute et crue de l’auteur, sublime le street art.
- Guerre et Spray de Banksy : l’un des artistes de rue contemporains les plus célèbres rend ici compte de la production artistique hors normes qu’est le street art, mélange de subversion et d’ironie qui interroge, sur un mode décalé et percutant.
Et un film culte :
Faites le mur de Banksy (2010). Il accompagne l’ouvrage Guerre et Spray et raconte l’histoire de Thierry Guetta, un commerçant français excentrique, documentariste amateur vivant à Los Angeles. À mesure qu’il filme de manière compulsive la nouvelle génération de l’art urbain, son obsession pour Banksy se fait plus dévorante. Ils se rencontrent enfin. Banksy incite Guetta à se tourner vers l’art urbain. C’est alors que naît Mr. Brainwash.
Les documentaires qui retracent l’histoire du graffiti :
- Writers : 1983-2003, 20 ans de graffiti à Paris de Marc-Aurèle Vecchione (2004). Un documentaire qui suit de jeunes graffeurs, âgés de 14 à 18 ans, dans les rues parisiennes et qui retrace les débuts du graffiti en France.
- Wall Writers : Graffiti in its innocence de Roger Gastman (2016). Un documentaire qui explore l’irruption du graffiti dans le courant dominant de la société pendant une période de troubles sociaux. Wall Writers est l’histoire de la naissance de cet art à Philadelphie et à New York entre 1967 et 1973. Il constitue un récit exclusif des débuts de ce mouvement et la plupart des artistes à son originie ont donné leur première interview à la caméra pour ce projet. Wall Writers offre un regard unique sur l’origine du graffiti et de l’art de la rue.
- Martha Cooper, icône du street art de Selina Miles (2019). Martha Cooper est celle qui a rédigée “la bible” du street art (Subway Art). Dès les années 1970, elle se fait initier au graffiti et parcours New York pour immortaliser les tags dessinés sur les rames de métro. Ce documentaire allie archives et interviews de Martha Cooper et de ceux qui la tiennent pour une référence, et restitue les grandes étapes de la carrière de la photojournaliste, célébrée aujourd’hui dans le monde entier.
- Stations of the Elevated de Manfred Kirchheimer (1981). Il s’agit du premier film à documenter le mouvement des graffitis à New York, mais il ne s’agit pas d’un documentaire au sens habituel du terme : il n’y a pas de narrateur et très peu de dialogues. Au lieu de cela, on suit les wagons de métro couverts de graffitis qui se déplacent le long des rails sur une bande sonore jazz de Charles Mingus avec Aretha Franklin.