Affiche du film “Les Graines du figuier sauvage”, de Mohammad Rasoulof.

“Les Graines du figuier sauvage”, de Mohammad Rasoulof : “Tourner dans l’illégalité constitue l’ADN de mon film”

Image d'avatar de Leïla LakelLeïla Lakel - Le 18 septembre 2024

Aujourd’hui sort en salles “Les Graines du figuier sauvage”, du cinéaste iranien Mohammad Rasoulof, condamné à huit ans de prison pour opposition au régime. Il propose un thriller allégorique, officine d’une révolte ayant pour marqueur le mouvement Femme, vie, liberté. Prix spécial du jury à Cannes, le film fait exception dans le paysage cinématographique, tant par sa capacité à intégrer la clandestinité comme condition de production que pour son appétence à (re)qualifier le cinéma d’outil contestataire.

Photo du film ”Les Graines du figuier sauvage”, Mohammad Rasoulof, 2024.
“Les Graines du figuier sauvage”, Mohammad Rasoulof, 2024 (Pyramide films).

Doit-on regarder “Les Graines du figuier sauvage” comme l’on regarderait n’importe quel film ? C’est la question que l’on doit être en mesure de se poser tant ses conditions de conception sont éloignées des façons traditionnelles de faire du cinéma. Tourné illégalement en Iran, avec peu de moyens, dans un contexte hautement répressif envers ceux qui s’érigeraient contre la dictature des mollahs, ce thriller fait état de siège, mêle l’intime et le politique et ose le contre-récit. Un geste esthétique, prolongement du mouvement insurrectionnel iranien, qui clame la nécessité de construire des récits face à un système qui tue la parole dissidente.

Un pays à huis clos, et un film qui porte son histoire dans l’intimité d’une famille aux apparences tranquilles. La figure du père, Iman, vient d’être promue juge d’instruction au tribunal révolutionnaire de Téhéran, une place de choix dans l’Iran théocratique post-79, qui impose une vie rigoriste à sa femme et ses deux filles. Donnant le cadre à une violence lente, bureaucratique, feutrée par l’aspect routinier d’individus assignés à leurs rôles, la mort de Mahsa Amini, tuée par la police des mœurs, et l’insurrection populaire qui s’ensuit, viennent ébranler le quotidien d’Iman, qui chaque jour signe des exécutions à mort au nom de la “moharebeh” (haine contre Dieu). De son côté sa femme, Najmeh, apporte un soutien indéfectible à son mari, extension du régime totalitaire. Ses deux filles, Rezvan et Sana, l’une étudiante et l’autre lycéenne, s’éveillent peu à peu par le biais des images de manifestations relayées sur les réseaux sociaux…

Mohammad Rasoulof s’est appliqué à montrer comment un basculement peut s’opérer dans un système, où la directive (ici la loi de Dieu) dicte l’ensemble des comportements sociaux. Les affects, souvent relégués au second plan, sont dans le film aux origines même d’une insurrection que les personnages portent dans leurs chairs. La famille, primo société, fait état du politique et se défait au nom d’idéaux. L’utilisation d’images amateurs de manifestations donne un ton documentaire à une fiction historique, qui se positionne et forge de nouveaux référents au mouvement populaire révolutionnaire de 2022. Un acte nécessaire, qui a vu le jour en prison, quand le réalisateur incarcéré pour ses précédents films “Le diable n’existe pas” et “Un homme intègre” mais aussi pour avoir encouragé des manifestations, a décidé de continuer à faire de son cinéma un réquisitoire contre le pouvoir.

Photo dans le tribunal, “Les Graines du figuier sauvage”, Mohammad Rasoulof, 2024.
“Les Graines du figuier sauvage”, Mohammad Rasoulof, 2024 (Pyramide films).

En tant que prisonnier politique, il a côtoyé des juges d’instructions et différents membres de l’univers carcéral iranien, ce qui l’a mené à explorer les contradictions à l’œuvre dans ces corps de métier. Son choix place l’idéal de liberté et de justice avant la privation de liberté à laquelle il s’expose et conditionne également ses décisions scénaristiques et esthétiques. Au cours d’un bref entretien accordé à Beware!, Mohammad Rasoulof s’est justement exprimé sur les méthodes de réalisation d’un film illégal, où le tournage peut être interrompu à chaque instant et où l’équipe s’expose aux arrestations.

“La première constante dans la réalisation des Graines du figuier sauvage a été que je ne pouvais pas me trouver à proximité de la caméra, ça aurait été trop risqué. Je ne pouvais donc pas diriger les acteurs. C’est une contrainte à prendre en compte, comme beaucoup d’autres, dans la conception d’un film clandestin, et en même temps, c’est justement ce qui constitue son ADN. Les différents impératifs induisent des choix, qui sont pensés dès l’écriture. Des lieux aux décors en passant par les parties en huis clos jusqu’au choix du casting, tout est réfléchi en intégrant l’idée que les autorités iraniennes ne doivent pas savoir que je suis en train de tourner un film. D’ailleurs aussitôt que la nouvelle s’est répandue, c’est-à-dire un peu avant l’annonce de la sélection du film à Cannes, beaucoup de membres de l’équipe technique et du casting ont été exposés à la justice, beaucoup ont du fuir, comme moi, l’Iran illégalement.”

“Toujours dans le soucis de travailler en lien avec la contrainte, j’ai justement voulu interroger mon langage cinématographique qui est très métaphorique, et j’ai eu envie d’être plus frontal à mesure que j’étais inquiété pour mes films, tout en ayant toujours recours à un langage poétique, qui ne serait pas déterminé par une forme d’autocensure ou de terreur.”

La fable est donc poétique, pour ce film tourné en CinémaScope, montrant l’Iran dans ses paysages les plus sublimes et les plus sombres. Le geste, lui, s’arme de patiente pour ce réalisateur en exil, venu à pied d’Iran, égrainant sur son passage un conte, une histoire, où la terreur vacille. Toute prête à s’éteindre.

“Les Graines du figuier sauvage”, de Mohammad Rasoulof, avec Misagh Zare, Mahsa Rostami, Soheila Goestani et Setareh Maleki, en salle le 18 septembre 2024.

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Leïla Lakel
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