Nous vivons une époque bizarre. Une époque durant laquelle se présente à la présidentielle un certain Éric Z, gnome polémiste érigé en nouvelle mascotte de CNEWS. Le pire, c’est qu’il pourrait passer, ou plutôt… Nous ne sommes pas sûrs qu’il ne passe pas. Notre époque est bizarre. Une star de RN&B est accusée de viols sur mineurs et trafic sexuel sans que cela ne choque plus personne. Que voulez-vous ? Ce n’est ni le premier ni le dernier à une époque où toutes les célébrités s’avèrent être de dangereux pervers. Et quelle est donc cette bizarrerie en Afghanistan ? Des talibans qui promettent un “gouvernement inclusif” ? Mais le plus bizarre reste ces 20.75°C enregistrés en Antarctique le 9 février 2021 tandis qu’à Paris il ne faisait pas plus de 10°C.
C’est dans ce contexte de plus en plus insensé que nous avons décidé de nous pencher sur les films bizarres. Ceux qui de par leur style, leur histoire ou simplement leur personnage offrent de véritables expériences aux spectateurs qui osent venir les voir. Ces mêmes spectateurs qui sortiront de la salle le cerveau embrumé, se faisant l’écho d’une seule et unique question : “c’était quoi ce film ?”
Il est évident que la bizarrerie est un concept bringuebalant entièrement fondé sur la subjectivité de chacun. En effet, cette notion ne répondant à aucune règle, rien ne nous permet d’estampiller “bizarre” tel ou tel film de manière officielle. C’est pourquoi n’hésitez pas à nous partager vos propres suggestions dans les commentaires. Car voilà le véritable intérêt du bizarre : provoquer le débat, déclencher la polémique, échanger ! Les films présentés ci-dessous devraient vous faire parler…
Mandy de Panos Cosmatos (2018)
Pacific Northwest, 1983. Red Miller et Mandy Bloom mènent une existence paisible dans leur cabane reculée au cœur des bois. Jusqu’au jour où Jérémie Sand, gourou d’une bande de fanatiques, tombe en admiration pour Mandy. Dès lors, feu et sang accompagneront Red Miller jusqu’au bout de sa vengeance. Deuxième film du réalisateur après le tout aussi barré, mais bien trop long Beyond the Black Rainbow en 2010, Mandy est un voyage onirique sous forme de trip visuel. Chaque plan est réfléchi en référence à l’esthétique rétro des années 80, les visages sont baignés dans des couleurs à faire pâlir un mec sous LSD et le tout est accompagné par une bande son envoûtante à la Carpenter Brut. Nicolas Cage obtient ici un rôle à sa démesure, d’abord tout en sensibilité contenue pour ensuite laisser place à la fureur la plus totale. Pour tous les amateurs de genre, de Dario Argento à Clive Baker, de Nicolas Winding Refn en passant par Tobe Hopper et son Massacre à la Tronçonneuse, le film de Panos Cosmatos devrait vous séduire.
La Montagne sacrée de Alejandro Jodorowsky (1973)
Un homme ressemblant étrangement au Christ s’introduit dans une tour et y affronte un maître alchimiste. Celui-ci le mènera à la rencontre des 7 puissants de ce monde, dans un voyage initiatique. Tous convoitent le secret de l’immortalité, détenu par 9 sages au sommet de la Montagne Sacrée. Figure de proue du mouvement surréaliste, Jodorowsky a su intéresser certaines icones de la pop culture avec son deuxième film El Topo, un western métaphysique qui attira les foules lors des séances de minuit. Parmi ses admirateurs on comptait notamment John Lennon et Yoko Ono qui participèrent au financement de son prochain projet, La Montage sacrée. “On m’a donné un million de dollars pour faire ce que je voulais.” En résulte un film absolument fou et d’une richesse visuelle encore inégalée. Un régime totalitaire a pour étendard des cadavres d’animaux dépecés, une bataille opposant deux armées de grenouilles termine en bain de sang, des gens dont les fesses sont recouvertes de peinture produisent en série des œuvres picturales après s’être assis sur des feuilles blanches… Inutile d’en dire plus.
Possessor de Brandon Cronenberg (2020)
Tasya Vos est agente au sein d’une organisation secrète exploitant une technologie neurologique qui permet de prendre possession du corps d’un individu. Et ainsi de rendre intraçable le moindre assassinat. Jusqu’au jour où Tasya se retrouve coincée dans le corps de sa prochaine victime. Brandon est bien le fils de l’illustre David Cronenberg tant il partage avec lui ce goût pour la chair et ses malformations. Possessor ravira tous les fans de body horror mais c’est dans sa mise en scène que le film se révèle entièrement ! Les séquences de dédoublement de la personnalité y deviennent expérimentales et hypnotisent le spectateur, déjà bien éprouvé par la violence de certaines scènes. Malgré une idée de départ brillante, le réalisateur semble délaisser son sujet au profit d’une expérience de cinéma toujours plus sensorielle.
Phantom of the Paradise de Brian de Palma (1974)
Winslow Leach est un compositeur naïf qui en échange d’une promesse d’embauche va donner sa musique au célèbre Swan, producteur sans remords et fondateur du Paradise, le temple du rock. Winslow se fera rouler et terminera en prison d’où il finira par s’échapper. Défiguré, il reviendra hanter le Paradise… Premier succès commercial de Brian de Palma, ce film est une relecture rock du classique de Gaston Leroux Le Fantôme de l’opéra. L’énergie électrique du glam-rock des années 70 fait de ce film un pur objet arty, bourré de références et en constante mutation. Malgré un budget dérisoire pour l’ambition du projet, de Palma réussit à proposer un cocktail acidulé pour les yeux et les oreilles.
Réalité de Quentin Dupieux (2015)
Jason a l’opportunité de faire financer son projet de film d’horreur à la seule condition qu’il trouve le meilleur gémissement de douleur de l’histoire du cinéma. En 2015 Dupieux revient en France après une trilogie américaine (Rubber, Wrong, Wrong cops). Grand bien lui a fait car sa collaboration avec Alain Chabat a donné naissance à son meilleur film, le chef-d’œuvre absurde Réalité. Le réalisateur est en terrain connu : une photographie laiteuse, des personnages atypiques, un scénario déconstruit… Mais cette fois il pousse les curseurs au maximum. “C’est une crise d’eczéma à l’intérieur de votre tête”. Sous la musique obsédante de Philip Glass, on suit le parcours d’une gamine qui trouve une cassette dans les entrailles d’un sanglier, un homme conduit une jeep habillé en femme, un animateur TV fait des crises d’eczéma et Alain Chabat s’enregistre hurlant dans son magnéto tandis qu’un réalisateur tourne un film au final étourdissant. Une pure expérience Dupiesque !
A Snake of June de Shin’ya Tsukamoto (2003)
Une femme travaille en tant qu’assistante sociale dans une sorte de standard “Allô suicide”. De sa voix douce elle écoute et rassure. Le soir, elle rentre chez elle et attend son mari. Ce dernier, un cadre angoissé, ne prête attention qu’à la propreté et sitôt rentré, le voilà qui s’échine à récurer. Sa femme se languit d’un ennui mortel jusqu’au jour où elle reçoit une lettre. Quelqu’un l’observe… Chef de file de la mouvance cyberpunk (Tetsuo), Tsukamoto met ici de côté son goût pour les chairs transformées au profit d’un érotisme fascinant. Le point de vue du voyeur, thème cher au cinéma, offre au réalisateur un terrain d’expérimentation visuelle. Le film est plongé dans une photographie bleue, noyé sous une pluie sans fin et dresse en filigrane le portrait d’une société japonaise aliénée par la bureaucratisation.
Bad Boy Bubby de Rolf de Heer (1993)
Bubby est séquestré depuis toujours par sa mère. Il n’a jamais quitté leur piteux appartement, persuadé que l’air extérieur est dangereux pour lui. Mais le jour de ses 35 ans, suite à l’arrivée surprise de son père, Bubby s’échappe et s’aventure dans le monde extérieur. Bad Boy Bubby est un film qui ose tout, le pire comme le meilleur de l’humanité, de l’inceste à l’amour. Ce personnage mentalement retardé qu’est Bubby, admirablement interprété par Nicholas Hope, observe de ses yeux d’enfants un monde à la violence crasse qui lorsque l’on prend le temps d’y essuyer la saleté s’avère d’une douce beauté. Très drôle, parfois triste, souvent provocateur, profondément déjanté… Bad Boy Bubby est à coup sûr un film à voir.
Le Charme discret de la bourgeoisie de Luis Buñuel (1972)
Les Thévenot et les Sénéchal tiennent absolument à diner ensemble, mais chaque fois un élément absurde les en empêche. Le film se veut une critique acerbe de la société et ses bourgeois. Pour ce faire il revêt presque des allures de film à sketches et trimballe ces personnages d’une maison à une autre, d’un rêve à un autre. Chacun y est détestable de par cette attitude révoltante que l’élitisme procure ; l’impression de vivre dans une bulle privilégiée où l’autre n’existe pas, à l’instar de toutes ses “petites mains” (domestiques, chauffeur…). La comédie, comme souvent d’ailleurs, est le support d’une satire mordante d’autant plus mordante qu’elle n’était pas le sujet premier de Luis Buñuel et Jean-Claude Carrière à l’écriture. Ce n’est qu’une fois fini, au moment de donner un titre à ce scénario, que le thème profond du film leur est apparu.
Mulholland Drive de David Lynch (2001)
Sur les routes sinueuses de Los Angeles, Rita est victime d’un accident de voiture qui la laisse désorientée et amnésique. En parallèle, Betty débarque à Hollywood des rêves plein la tête. Par un concours de circonstances les deux jeunes femmes vont partir en quête de l’identité de Rita… Est-il vraiment nécessaire de présenter le chef-d’œuvre ultime d’un des réalisateurs les plus illustres de l’histoire ? David Lynch livre un film fascinant, aussi envoûtant que dérangeant et dont le scénario casse-tête n’a pas fini d’être étudié puisque son auteur refuse de donner la moindre clé de compréhension. Mulholland Drive est une plongée sans concession dans l’enfer du Hollywood que le grand public ne connait pas, celui de l’autre côté de la caméra. A ce jour personne ne remet en cause son statut de chef-d’œuvre, personne hormis Hervé Kikifpa (voir sa critique), célèbre polémiste qui représente à lui seul ce que l’on appelle l’exception culturelle française.
Les Diables de Ken Russel (1971)
Urbain Grandier est le prêtre d’une ville forteresse, Loudun. Cet homme libertaire, séducteur, amoral aux yeux de l’Eglise va s’attirer la haine de Richelieu qui ne voit en lui qu’un opposant politique. Lorsque les sœurs Ursuline du couvent sont victimes d’une crise de délire collectif et qu’elles évoquent alors le nom de Grandier, il n’en faut pas plus à Richelieu pour déclencher une chasse aux sorcières, tentant d’éliminer son ennemi au passage. Adapté d’une histoire vraie, “l’affaire des démons de Loudun” dans les années 1630, la tenue à une cohérence historique s’arrête là tant Ken Russel imagine un monde à l’hystérie ambiante, à l’ambition visuelle démesurée, empli d’excès et de mauvais goût. Chaque plan nous traduit la folie d’une époque sous le joug de l’intégrisme religieux. Mais c’est dans la galerie de ses personnages que le film prend son essor : un prêtre qui rend toutes les femmes folles de lui, une nonne bossue et nymphomane, un Louis XIII clownesque au possible, un exorciste sorte de Beatles du Moyen-Âge… Autant de raisons d’aller voir Les Diables.
Lost River de Ryan Gosling (2014)
Dans une ville sinistrée aux États-Unis, une mère et ses deux garçons tentent de survivre et de trouver un sens à leur vie. Premier film de Gosling en tant que metteur en scène, Lost River est un film magnifiquement immature. Immature car comme souvent les premiers films, le réalisateur a du mal à se détacher de ses références. Ici elles sont très nettes : Nicolas Winding Refn, David Lynch et Terrence Malick. On a ainsi beaucoup reproché à Gosling le côté “impersonnel” de sa mise en scène traversée de néons, d’objets en flammes, de décors aux allures fantastiques… Il fallait pourtant une belle dose de talent pour réussir à faire coexister ces trois grands noms sans finir écrasé par leur poids. Dans une ambiance onirique, le jeune réalisateur donne à son histoire des allures de conte et dresse le portrait d’une Amérique désespérée, pour qui la fuite n’est plus une option mais une question de survie.
La Clepsydre de Wojciech Has (1973)
Joseph rend visite à son père mourant dans un sanatorium décrépi, rongé par la moisissure et les toiles d’araignées. Le docteur Gotard lui explique que le temps y est comme retardé. Commence alors pour Joseph un étrange voyage mêlant souvenirs et autres strates temporelles. Malgré un Grand Prix du jury à Cannes, le film fût globalement mal reçu à sa sortie. Ce n’est pas surprenant tant La Clepsydre se veut une expérience labyrinthique voire carrément hermétique sous certains aspects. Pourtant le personnage de Joseph évolue de décors en situations pour notre plus grand plaisir visuel. Oui car s’il est difficile de “comprendre” le film, au premier visionnage tout du moins, il n’en reste que La Clepsydre fascine par sa mise en scène tout en travellings et plans séquences, par son je-ne-sais-quoi de Fellinien, par son angoissante musique signée Jerzy Maksymiuk…
Enter the Void de Gaspar Noé (2010)
Oscar et sa sœur Linda vivent à Tokyo. Lui se drogue, elle se prostitue. Un jour Oscar est abattu par la police. Son esprit divague, refusant de quitter le monde des vivants. Les visions vont s’enchaîner, toutes plus cauchemardesques les unes que les autres. Voilà bien un film qui divise encore aujourd’hui (rien d’étonnant puisqu’il s’agit d’un film de Gaspar Noé), certains crient à la branlette intellectuelle et l’accusent d’être d’un ennui mortel tandis que d’autres hurlent au génie, vantent la performance technique, saluent la perche hallucinatoire… Il faut le voir pour se faire son avis. Comme toujours avec Noé, le scénario tient sur deux lignes sauf qu’ici il étire à l’infini ces deux pauvres lignes (2h30 de film). Pourtant cette caméra subjective, aérienne, vous hypnotise. Les séquences où l’on voit la ville (recréée numériquement) sont magnifiques, au même titre que les effets visuels de trip vous plongent dans un état second. On pourra reprocher de nombreuses choses au bonhomme mais Enter the Void est une expérience de cinéma comme jamais vous n’en verrez.
Sailor et Lula de David Lynch (1990)
Sailor et Lula vivent une passion folle. Cependant la mère de Lula ne supporte pas Sailor et fait tout pour les séparer. Les deux amoureux décident de s’enfuir, envers et contre tous. Auréolé du succès de Blue Velvet, thriller érotico-angoissant, Lynch se lance dans l’écriture d’un scénario bien plus fou encore mêlant conte, comédie musicale, road-trip, violence… Un condensé de son univers frôlant parfois la caricature mais foncièrement jouissif. Nicolas Cage y campe un Sailor charismatique dans le plus pur style Travolta du samedi soir tandis que Laura Dern donne à sa Lula un caractère plus insaisissable, dangereux et fragile à la fois. Les personnages secondaires sont particulièrement travaillés, ainsi on ne se lasse pas de la mère hystérique (Diane Ladd), du beau-père pot de fleur (Harry Dean Stanton), de Bobby Peru le gangster édenté (Willem Dafoe)… Que vous faut-il de plus ?
Crash de David Cronenberg (1996)
James et Catherine Ballard sont un couple dont la vie sexuelle se banalise. Un jour ils sont victimes d’un accident de voiture et les nouvelles sensations découvertes sur le moment vont offrir un second souffle à leur relation. Adapté d’un roman de J.G. Ballard, Crash est une œuvre envoûtante mêlant érotisme et mécanique. Profondément subversif, David Cronenberg trouve dans cette histoire la synthèse parfaite de tous ses questionnements. L’homme devient machine que l’on casse puis répare tant qu’on le peut encore. La fragilité du corps est détaillée de toutes les manières, cicatrices, bleus et prothèses défilent sous nos yeux mal à l’aise. Le film avait provoqué le scandale, choqué les spectateurs cannois mais repartit tout de même avec le Prix Spécial du jury à Cannes.
Under the Silver Lake de David Robert Mitchell (2018)
Los Angeles. Sam, sans emploi, se languit de devenir célèbre jusqu’au jour où il rencontre une jeune fille mystérieuse qui disparaît sans prévenir. Persuadé qu’il lui est arrivé quelque chose il se lance sur sa trace. Troisième film de David Robert Mitchell après la révélation It Follows (présent dans notre sélection des meilleurs films d’horreur), Under the Silver Lake est un film hommage qui se faufile dans l’histoire du cinéma et de sa mythologie. Pour les amoureux d’Hitchcock, de Mulholland Drive, de l’Âge d’or d’Hollywood, de The Big Lebowski… Bref un film pour tous ceux qui ont grandi en admirant leurs acteurs préférés, en dansant sur les tubes de leur génération, en collectionnant les images collector ou en remplissant les jeux à l’arrière des boîtes de céréales. Un film pour tout le monde quoi. C’est son hybridité qui fait son charme, flirtant d’un genre à l’autre, du film noir à la comédie nonchalante, à la fois pétillant et mystérieux.
Satyricon de Federico Fellini (1969)
Encolpe et Ascylte, deux étudiants qui habitent ensemble, se disputent les faveurs de leur jeune esclave Giton au cœur d’une Rome antique et décadente. En 1969, Fellini est une sorte de Dieu vivant au même titre que Coppola a pu l’être dans les années 70. La Cinecittà (célèbre complexe de studios cinéma à Rome) met ses décors entièrement à sa disposition. Dès lors plus rien ne l’empêche de réaliser son projet gargantuesque : Satyricon. Rarement un film aura été aussi ambitieux visuellement, aussi beau dans ses couleurs, aussi débordant de trouvailles, d’idées, d’excès. Jamais un film n’aura transpiré autant le sexe et la débauche sans pour autant en faire l’étalage. Bref du Fellini à l’état pur. Mais comme tout alcool très fort parfois il vaut mieux diluer un peu. Ici pas de dilution, ce sont 2 heures de cinéma Fellinien que vous déglutissez difficilement, parfois jusqu’à l’écœurement.
Rubber de Quentin Dupieux (2010)
Dans le désert californien des spectateurs assistent aux péripéties d’un pneu tueur en série qui poursuit inlassablement une jeune fille. Avec Rubber, Dupieux raconte une histoire vue des centaines de fois dans le cinéma américain mais il a la bonne idée de filmer un pneu et non pas un humain. Dupieux c’est l’apologie du non sens, la destruction de toute rationalité, la porte ouverte à l’idiotie la plus saine… La scène d’introduction est justement là pour nous le rappeler. L’intérêt du film repose donc sur la capacité du spectateur à se délaisser de toute logique, à oublier les règles physique pour atteindre un degré supérieur de ce qu’on appelle la “suspension consentie de l’incrédulité”. Si vous acceptez ce postulat, vous allez voir l’un des films les plus génialement barré du XXIème siècle.
Mother! de Darren Aronofsky (2017)
Un couple vit paisiblement dans une grande maison isolée jusqu’au jour où l’arrivée d’invités inattendus vient perturber leur tranquillité. Mother! fait partie de ces films qui non seulement divisent mais qui provoquent chez certaines personnes des réactions frôlant l’hystérie. Il est vrai que le scénario est d’une prétention hallucinante avec son parallèle entre la puissance démiurgique de l’artiste et celle de Dieu. De plus l’ensemble est bourré d’incohérences ce qui remet en question les qualités intrinsèques d’Aronofsky créateur, lui qui se vantait d’avoir écrit le scénario en 2 semaines… Dieu, si Dieu il y a, n’a pourtant eu besoin que de 7 jours et voilà des millénaires que l’ensemble fait preuve d’une cohérence sans faille. Mais qu’importe tant l’expérience proposée dépasse tout ce que vous pouviez imaginer et durant 2 heures le cinéaste vous transporte par le génie de sa mise en scène.
Nowhere de Gregg Araki (1997)
Dark Smith a 18 ans, ses amis aussi. Ce film raconte une journée dans leur vie. Gregg Araki est l’un des représentants de la vague indépendante américaine des années 90 (aux côtés de réalisateurs comme Todd Haynes, Spike Lee, Quentin Tarantino…). Nowhere fait partie de la trilogie de l’apocalypse adolescente (avec Totally F***ed Up et The Doom Generation) et dresse le portrait d’une jeunesse débridée, en proie aux doutes et questionnements, et qui se sert du sexe comme d’un exutoire. Comme son titre l’indique, le film ne se place nulle part (on devine Los Angeles mais très rapidement), l’univers glisse vers le fantastique, les vêtements des personnages paraissent sortis d’un film de SF. Chacun est affublé d’un surnom et répond à une sorte d’archétype, ainsi tout le monde y passe : la brute à moto, le musikos drogué, la jeune ingénue, les accros au sexe… Un sacré foutoir mené à un rythme d’enfer !
Buffet froid de Bertrand Blier (1979)
Alphonse rencontre un étrange inspecteur et un assassin. Il se retrouve entraîné dans une série de meurtres plus irréalistes les uns que les autres. Un an après la consécration internationale pour Préparez vos mouchoirs (Oscar du meilleur film étranger), Blier revient encore plus fort avec ce bijou d’humour noir et cinglant. Il dirige ce trio d’acteurs formidables avec l’élégance d’un charcutier, promène ces personnages dans des décors urbains déshumanisés, où les tours immenses sont vides et l’arrivée d’un nouveau locataire inquiète plus qu’elle ne rassure. Les dialogues y sont merveilleux, chantent et s’évaporent dans l’air. “Un coupable est beaucoup moins dangereux en liberté qu’en prison… Parce qu’en prison il contamine les innocents.” Blier à la quintessence de son art.
Bonus : pour ceux qui découvriraient le monsieur, foncez voir Tenue de soirée, Beau-père, Les acteurs et bien-sûr Les Valseuses.
Under the Skin de Jonathan Glazer (2014)
Un extraterrestre prend une forme humaine pour attirer ses proies dans ses filets. Avec ce scénario digne d’une série Z, Jonathan Glazer va délivrer l’un des films les plus passionnants du XXIème siècle. Suite à une séquence d’ouverture aussi splendide qu’énigmatique, Glazer va prendre les pas du maître Hitchcock, que ce soit à travers la musique, leitmotiv angoissant aux notes « Herrmaniennes » ou dans l’exploitation du fantasme de l’actrice. Scarlett Johansson est la Kim Novak de Jonathan Glazer. Mais bien plus que du désir, c’est de la fascination qui en ressort. Les déambulations de son personnage, sorte de mante religieuse impitoyable, à la danse nuptiale terrifiante, placent le spectateur en observateur impuissant et pétrifié. La toile se tisse lentement à travers une Ecosse froide, humide, où la parole est presque inexistante. Expérience visuelle et sonore, mêlant l’horreur la plus crue aux scènes les plus intimes, Under The Skin est un film immense, de ceux dont l’appréhension est difficile et qui pourtant vous hantent à jamais.
Ex Drummer de Koen Mortier (2007)
Trois handicapés (un sourd, un dont le bras est rigide, un qui a un cheveux sur la langue) forment un groupe de rock. Seulement ils n’ont pas de batteur et décident d’aller voir Dries, un célèbre écrivain, pour qu’il les rejoigne. Celui-ci accepte, tel un dieu diabolique il descend du ciel afin de se mêler à la populace en détresse. Ex Drummer est probablement l’un des films les plus crades jamais réalisé, que ce soit dans les dialogues, dans sa violence graphique, dans ses propos politiquement incorrects… La caméra nerveuse de Ken Mortier se balade de trognes en trognes et capture le désespoir qui germe dans ses milieux sociaux où la dépravation y côtoie le grotesque. Film résolument punk, Ex Drummer est une plongée intense dans le “No Future”.
Lost Highway de David Lynch (1997)
Fred Madison, saxophoniste dépressif et profondément jaloux, voit sa vie bouleversée le jour où il reçoit des cassettes vidéos qui les montrent, sa femme et lui, dans leur intimité. Avec ce film, David Lynch pose les bases de son chef-d’œuvre à venir ; Mulholland Drive. La construction scénaristique en ruban de möbius (un ruban qui forme un cercle mais n’a qu’une seule face) plonge le spectateur dans un labyrinthe infernal. Le réalisateur déploie tout son talent pour construire une atmosphère angoissante, flirtant avec les codes de l’horreur. Le tout est agrémenté d’une bande sonore passant de David Bowie à Marilyn Manson ou de Lou Reed à Rammstein. Lost Highway est une œuvre troublante reprenant l’univers du film noir, notamment avec son personnage de femme fatale, une blonde insaisissable et une brune passive.
Orange Mécanique de Stanley Kubrick (1971)
Dans une Angleterre futuriste et inhumaine, un groupe d’adolescents se déchaînent chaque nuit, frappant et violant d’innocentes victimes. Alex (Malcolm McDowell), le leader du gang est arrêté et condamné à 14 ans de prison. Il accepte alors de se soumettre à une thérapie de choc destinée à faire reculer la criminalité. Film culte de son auteur (mais est-ce le plus culte de tous ses films cultes ?), Orange Mécanique reste encore aujourd’hui une œuvre particulièrement difficile à regarder. Jamais Kubrick n’aura été aussi exubérant notamment à travers ces décors venus d’ailleurs. Il multiplie les références phalliques, baise en accéléré sur du Beethoven, enfonce un énorme pénis dans la bouche d’une femme jusqu’à ce que mort s’en suive… Un film immense qui fit scandale à sa sortie.
Irréversible de Gaspar Noé (2002)
Une femme, Alex, se fait violer par un inconnu dans un tunnel. Son compagnon Marcus et son ex-petit ami Pierre décident de faire justice eux-mêmes. Voilà le film qui provoqua ce que l’on peut considérer comme le plus gros scandale que le festival de Cannes ait connu. Une centaine de spectateurs quittent la salle, on le juge “lamentable”, “insoutenable”, certains souhaitent même l’enfermement du cinéaste. Effectivement, par son sujet et son traitement sans concessions, Irréversible est un film qu’on ne peut qualifier d’agréable à regarder. Ce qui fascine bien plus c’est la prouesse technique réalisée avec cette caméra qui, une fois n’est pas coutume chez Noé, virevolte d’une séquence à une autre dans l’illusion d’un plan unique. Mais c’est principalement le montage à rebours qui fait l’intérêt du film et donne tout son sens au mot “irréversible”.
Notre histoire de Bertrand Blier (1984)
Abordé dans un train par une jeune femme en quête d’une aventure, un garagiste alcoolique s’installe dans la vie de celle-ci contre son gré. Notre histoire fait figure d’oublié dans la filmographie de Blier (pourtant récompensé d’un César du meilleur scénario et d’un César du meilleur acteur pour Alain Delon). Il s’agit cependant de l’une de ses œuvres les plus inventives et décomplexées. Il n’est donc pas étonnant qu’une partie du public n’adhère pas tant le film va loin dans l’absurde le plus grotesque. Michel Galabru y tient un rôle à mourir de rire tandis que Delon nous prouve qu’il n’est pas qu’un simple beau gosse taiseux. C’est l’histoire d’un film qui raconte la détresse et la solitude des Hommes.
Enfermés dehors de Albert Dupontel (2006)
Un clochard trouve un uniforme de police et s’infiltre dans un commissariat. Il décide naïvement de retrouver un enfant qui a récemment été kidnappé. Troisième film de l’enfant terrible (on se rappelle tous de Bernie et sa pelle) devenu aujourd’hui la coqueluche du cinéma français (6 nominations aux Césars pour 9 mois ferme, 12 nominations pour Au revoir là-haut, 13 nominations pour Adieu les cons), Enfermés dehors est un concentré du meilleur comme du pire de Dupontel. L’histoire tragi-comique prends des airs absurdes au possible, une ribambelle de gueules défilent devant l’objectif, ça hurle, ça tombe, ça crie, ça se casse la gueule… Le réalisateur se fait totalement plaisir et cite outrageusement des figures légendaires comme Charlie Chaplin ou Buster Keaton. Et au milieu de tout ce bazar, des moments de poésie comme seul Dupontel sait les faire.
Meshes of the Afternoon de Maya Deren et Alexander Hammid (1943)
Des objets récurrents et symboliques, des actions hallucinatoires et répétitives constituent la trame de récits confus et obsédants, à la lisière du rêve et de la réalité. Voilà le pitch officiel. Maya Deren est l’une des figures majeures de la vague expérimentale du milieu du XXème siècle. Encore aujourd’hui on devine son influence auprès de cinéastes comme David Lynch. Ce court-métrage de 14 minutes vous embarque dans une sorte de boucle spatio-temporelle, chaque plan regorge d’idées et de trucages que de nombreux clips musicaux recyclent toujours à notre époque. Il n’est donc pas étonnant que Meshes of the Afternoon ait été sélectionné par la Bibliothèque du Congrès afin d’être restauré par le National Film Registry américain, car considéré comme “culturellement, historiquement ou esthétiquement remarquable”.
Canine de Yórgos Lánthimos (2009)
Une famille vit dans une maison en pleine campagne. Les enfants ne l’ont jamais quittée. Ils ont été élevés sans aucune influence du monde extérieur. Canine fût l’une des belles surprises de la compétition Un certain regard au festival de Cannes 2009. La tentative d’isoler les enfants pour les protéger (ou les asservir ?) s’accompagne d’une redéfinition totale du monde qui les entoure. Que ce soient le vocabulaire, les règles physiques et universelles, le rapport au corps… Dès lors, le spectateur est lui-même placé dans un contexte où tout va lui paraître anormal. Ainsi, la mise en scène du réalisateur nous enveloppe dans une chappe laiteuse et froide, profondément dérangeante.
Il est temps de conclure cette sélection bien trop longue et en même temps si incomplète. Il ne tient qu’à vous de l’épaissir. Partagez vos bizarreries ! En attendant on vous dit à bientôt pour un nouvel article Les meilleurs films…
D’ailleurs vous pouvez jeter un œil à nos meilleurs films d’horreur ou meilleurs films de science-fiction.
6 commentaires
Marc
FORNACIS de la réunionnaise Aurélia Mengin
sprout
“A serbian film” devrait être numéro 1 du top!
Erwan
La liste n’est pas hiérarchique !
bretin
et taxidermia il est ou?
k1nel
Les “Richard Kelly” n’ont ils pas une place de choix ici ?
Gabin Vissouze
Effectivement ils se posent là en terme de bizarrerie haha !