Entre photographie et témoignage, le documentaire Hayastan de Luchino Gatti confronte la souffrance d’un pays en guerre et délaissé : l’Arménie.
La tristesse. La haine. Le putain de cul de sac.
*Hayastan : Transcription littérale du mot Հայաստան, nom de l’Arménie en
À Paris, au moment de partir, c’est ce qui me définit.
Je ne le sais pas encore, mais ce pays qui se fait massacrer, me
ressemble beaucoup.
Ni les rues désertes de la capitale ni mon cœur vide ne se
surprennent de leur rencontre.
Le pays est en deuil.
À la guerre, toujours.
Des fils, des frères, des pères décèdent.
Toujours.
Mais que suis-je venu faire ici ?
L’immensité de ma solitude s’agrandie.
Je vois des femmes pleurer la mort.
Sous leurs pieds, la tristesse les défigure.
Ô Hayastan*.
Terre scarifiée d’où s’élèvent d’inattendues montagnes de roches
sèches,
pique ardemment mon âme !
Le sud du pays m’attire.
À Goris, les yeux de ces pères de famille impuissants, rivés vers
le sol,
ne m’autorisent pas à les photographier.
La lourdeur de la souffrance qu’on leur incombe me pèse.
Je veux exploser.
Seigneur, guide-moi.
Des missiles, des tanks, des maisons enflammées.
Où m’emmènes-tu ?
J’ai laissé ma mère, mon père et mes frères à la maison.
Bienvenu en Artsakh, où les descendances sont perdues.
Je suis enfin seul face à l’absence.
Qui es-tu ainsi, qui blesse autant le cœur des Hommes ?
Je passe le barrage militaire. La kalash du soldat retentit.
Ce monde qui s’embrase ne m’inspire plus qu’à la survie.
arménien.
Luchino Gatti.
Partir en Hayastan
Lorsqu’il se rend en Hayastan (traduction littérale d’Arménie en arménien) en 2020, le réalisateur Luchino Gatti est confronté à l’accablement de tout un pays dont chaque génération est sacrifiée. Il revient en ce début d’année 2021 avec un documentaire sur ce dont il a été témoin. Mettre des images sur ce que vivent, encore aujourd’hui, les Arméniens, ou du moins essayer, voilà ce qu’il s’est promis en s’embarquant dans ce projet. La guerre, les oppressions, la destruction, la souffrance d’un pays et de ses habitants, Hayastan, c’est tout cela.
Le pays est en deuil.
Luchino Gatti
À la guerre, toujours.
Des fils, des frères, des pères décèdent.
Toujours.
Hayastan est un documentaire poignant, qui nous confronte à cette violence qu’on ignore bien trop souvent et qui, pourtant, blesse tant.
Solitude & souffrance
Le réalisateur témoigne de sa pudeur et de la difficulté pour lui de prendre en photo les visages des familles déchirées, chose qu’il se refuse finalement à faire. La souffrance est aussi partout ailleurs.
Des images à la fois silencieuses et débordantes de sens, tellement débordantes qu’il est bien compliqué de mettre des mots dessus. C’est pourtant ce qu’a réussi à faire Luchino Gatti, en introduction à ses photographies. Le poème qu’il a écrit évoque tout ce qu’il a traversé : l’accablement et le déchirement, les villes abritant des réfugiés et les montagnes arides. Une introduction douloureusement poétique au reste de son travail.
Un pays en guerre
L’omniprésence de la mort, du danger, de la violence est saisissante. Des tanks, des missiles ou des traces de leurs passages marquent durement les paysages arméniens. Un pays détruit, oppressé, oublié, qui tente de survivre. “J’ai fait ce que j’ai pu” dit Luchino Gatti, revenu en France, lorsqu’il présente son documentaire.
Le noir et blanc, le grain vieilli… Les photographies de Luchino Gatti s’inscrivent dans la suite de documentaires de guerre tristement célèbres. Le sens d’Hayastan est plus violent encore, car ce vieillissement volontaire des photos ne fait que souligner davantage le fait que tout cela se déroule aujourd’hui, au moment même où vous les regardez.
Ce paysage militaire, ces mains tremblantes à l’idée de devoir partir au front, ces villes fantômes… c’est la souffrance saisie sans détour. La sortie d’Hayastan est promise pour ce premier week-end de février. Suivez-le sur Instagram.
Découvrez aussi la série “Juvenile in justice” de Richard Ross qui illustre la solitude des mineurs emprisonnés aux États-Unis.
1 commentaire
Amrous
Documentaire, photographie et texte de Luchino Gatti tellement réaliste et touchant. Au travers de son reportage on arrive bien à se rendre compte ce que vive et endure au quotidien le peuple. Merci à Luchino Gatti pour ce magnifique documentaire.