Mourad Merzouki, chorégraphe majeur du début du siècle, fait partie de ceux qui bousculent l’ordre établi, venant corroborer un idéal porté par l’avant-garde des Ballets Russes.
Il rend compte d’un langage chorégraphique pluriel qui apparaît aux antipodes de l’académisme. À la rencontre du cirque, des arts martiaux et des influences multimédias le geste dansé de Mourad Merzouki se pose comme vecteur d’une culture qui bouge, se questionne et irradie le monde.
Sous la bannière de l’hybridité
Cette culture, celle qui ne s’enferme jamais, Mourad Merzouki la résume à demi-mot : Hip-hop. Il confie, “Quand j’ai commencé à faire du hip-hop au début des années 80, après la découverte de l’émission de Sydney (“H.I.P H.O.P”), j’ai intuitivement proposé un hip-hop hybride influencé par mon passage à l’école de cirque et par la pratique de la boxe. Donc, avec les copains (NDLR : Kader Attou, Eric Merino, Chaouki Saïd, avec qui il a fondé la compagnie Accrorap en 89) on a tout de suite proposé des chorégraphies avec un vocabulaire un peu fou, avec des échasses, des balles de jonglage…“
“ Les mecs du hip-hop nous prenaient pour des tarés… (Rires) En fait, j’ai tout de suite eu besoin de bousculer ce mouvement pour nourrir mes idées, donc je me suis demandé comment mettre l’énergie du hip-hop au service d’un propos. “
Mourad Merzouki
Depuis, il a mis en scène 32 œuvres chorégraphiques, fondé la compagnie Käfig et créé le centre chorégraphique Pôle Pik. Il est également le directeur du CCN de Créteil et est à l’origine de deux festivals : Karavel et Kalypso, véritables tremplins pour la nouvelle génération.
Après maintes consécrations et validations de son travail chorégraphique, il ne cesse de se référer au hip-hop comme origine de sa liberté créatrice. Car si ce mouvement artistique est par essence en dehors du cadre puisqu’il se pratique dans la rue et ne se détermine pas en rapport à une industrie , pour Mourad Merzouki il trouve une résonance dans la cristallisation des possibles, ne s’imposant aucune borne afin de travailler fond et forme pour continuer à s’écrire, au-dedans de l’institutionnel.
“Zéphyr“, un vent de liberté
À l’occasion de la création de sa dernière œuvre chorégraphique : “Zéphyr“, oeuvre de commande du département de la Vendée, Mourad Merzouki a opéré une analogie entre navigateur et danseur, donnant lieu à une métaphorique résistance.
Et si le navigateur hisse la voile contre vents et marées, les danseurs de “Zéphyr” apprivoisent le vent comme force motrice, récit didactique d’un voyage, d’une vie, d’une humanité qui n’est pas prête à rendre son dernier souffle. Le résultat est d’un onirisme bluffant et si “Zéphyr” projette différents axes de lectures, c’est parce que le chorégraphe propose une narration collective qui trouve écho dans chaque bribe de nos histoires personnelles. Tendant à l’universel par un langage artistique libre et inspirant, alliant la performance et la sincérité du hip-hop à une mise en scène singulière.
Mourad Merzouki propose une expérience sensorielle, personnifiant le vent à travers des corps en rythme : “J’avais presque un cahier des charges pour “Zéphyr” puisqu’il s’agissait de m’appuyer sur la compétition du Vendée Globe, mais j’ai quand même eu carte blanche, il fallait simplement qu’il y ait une référence. Donc, j’ai choisi le vent, car je trouve que ça apporte une matière assez mystérieuse sur scène, c’est là sans être là, ce n’est pas visible à l’œil nu, mais ça créer une lutte assez belle avec le corps, dans laquelle chacun peut se raconter sa propre histoire. En termes de scénographie et de chorégraphie, Mourad a pensé l’espace et le corps comme matière malléable, libre.
L’idée n’était pas de faire quelque chose de narratif et de démonstratif, donc, j’ai préféré faire exister des clins d’œil, des rendez-vous entre les ventilateurs, les danseurs et les tissus… Pour ce qui est de la chorégraphie, je donne des indications, mais c’est vraiment une gestuel qui vient du corps des danseurs, donc, c’est très collégial et je compose avec des danseurs issus de plusieurs horizons qui sont forts de propositions, en gardant à l’esprit de ne jamais les brider.“
Trouver son message
Pour ce qui est de ne jamais brider un propos, le chorégraphe aborde également la récupération du hip-hop, qu’on a pu lui reprocher. Comme pour légitimer de ne jamais travestir ce mouvement, Mourad s’explique une problématique complexe : “Dans les acteurs de ce mouvement, il y avait ceux qui étaient pour et ceux qui étaient contre ce que je faisais. Mais je ne me suis pas arrêté à ça, je suis danseur hip-hop, mais il était nécessaire que je me renouvelle et que je trouve à cette danse quelque chose qui soit à mon image… Si ça n’avait pas été le cas, je ne serais peut-être pas là, mais livreur chez Pizza Hut.”
Je suis danseur hip-hop, mais il était nécessaire que je me renouvelle et que je trouve à cette danse quelque chose qui soit à mon image. “
Mourad Merzouki
Un légitime compromis, à l’heure où la contestation trouve son public et son marché? En tout cas, “Zéphyr” semble avoir trouvé les deux, ce qui lui présage une longue existence sur les scènes nationales. Et si l’ovation est au rendez-vous, les lectures sont plurielles et questionne le spectateur sur ce que signifie résister, être en lutte :
Comment exister dans une société qui n’est pas simple ? C’est aussi ça que “Zéphyr” peut raconter, les enjeux de société. Je suis content quand j’entends qu’on en fait cette interprétation-là, car inconsciemment, c’est ce que j’aimerais faire. Même si je ne suis pas un chorégraphe engagé a proprement dit, je me situe plus dans des spectacles d’images. “
Mourad Merzouki
Un spectacle qui interroge le corps citoyen face à une poésie dansé, sublime état de corps, et qui invite à être à son tour moteur…
Pour connaître les actualités du chorégraphe, rendez-vous sur le site de la compagnie Käfig.