« Je n’ai jamais compris pourquoi dans les pubs pour les tampons et les serviettes, les règles étaient représentées avec cet étrange liquide bleu. » Explique Lisa Miquet. Pour sa nouvelle série, la photographe se moque des publicités pour les protections hygiéniques. Elle nous a accordé une interview.
Avec “Vous êtes de sang bleu”, l’artiste confronte les publicités aseptisées face à la réalité. Elle rit du fluide bleu utilisé à profusion et à tort par les marques de protections hygiéniques : « Si les protections périodiques servent à absorber cet étrange liquide bleu, c’est que visiblement, nous devons saigner bleu… ». Une satire, confirmée par l’ambiance kitch et rétro de la série : « J’ai utilisé l’esthétique des années 1980 afin de montrer le côté rétrograde de ce positionnement. » Confie la photographe.
“Vous êtes des reines”
Chaque photographie est soignée. Sur fond rose dégradé, les mises en scène détachent du reste de la photo, ce fameux sang bleu. Lisa Miquet le place au centre de toutes les photos. Un sang bleu divin pour la photographe qui avoue jouer avec l’expression “être de sang bleu” qui signifie être de sang royal : « J’ai voulu faire passer le message à toutes les personnes ayant leurs règles : “vous êtes des reines”. »
Les poses badass des femmes sur les photos illustrent la volonté de la journaliste : « il n’y a aucune raison de se sentir sale ou avoir honte de ses règles. » Paradoxalement, elles rigolent du tabou autour du sang des règles. Le sang bleu n’est pas naturel et pourtant, ici, personne ne s’en étonne. C’est la force de la série : questionner frontalement et avec humour le public.
Interview : une série qui brise les règles
Beware : « Vous êtes de sang bleu » est une série humoristique : c’est important d’en rire ?
Lisa Miquet : Ce décalage entre la réalité et les publicités m’a toujours fait rire alors j’ai décidé d’en faire une série marrante. Les pubs sur les règles sont à l’opposé de ce que vivent les femmes aujourd’hui : on les voit faire du trampoline, du roller, aller dans des parcs d’attractions alors que ce n’est pas notre réalité. Et puis, il y a ce liquide bleu. Je voulais imaginer ce que seraient nos vies si, vraiment, on avait du sang bleu.
B : Quel a été le déclic pour faire ta série ?
LM : Ça fait des années que je l’ai en tête. Après le confinement on a tous eu un peu le temps de bosser nos projets perso, c’était l’occasion ! Après, il y a eu plusieurs déclencheurs : les pubs absurdes, la censure (en 2015, Instagram censure la série photo sur les règles de Rupi Kur NDLR). En ce moment, il y a une publicité sur la sensibilité dentaire où l’on voit du vrai sang. Donc je me suis dit : ce n’est pas le sang dans les publicités qui pose problème, c’est le sang des règles.
B : Comment tu as obtenu le liquide bleu utilisé par les publicités ?
LM : Il y a plusieurs produits. Pour le liquide bleu utilisé sur les visages, je voulais un effet très kitch et pailleté. C’est une sorte de gloss. Sinon, c’est un mélange de colorants alimentaires, de glycérine et de gel d’aloe vera. J’ai testé plein de choses pour retrouver le liquide bleu qui, le plus souvent, est fait avec… du canard WC.
B : Sur une de tes photos, on voit une femme avec du liquide bleu dans la bouche…
LM : J’ai imaginé un monde imaginaire constitué de fluide bleu un petit peu partout. J’ai tiré le concept jusqu’au bout. J’aimais bien cette image, surtout celle qui pleure du sang bleu : elle faisait très pur et je trouvais ça marrant.
B : Tu t’es entourée majoritairement de femmes pour réaliser ta série. C’était important ?
LM : C’était surtout un concours de circonstances de travailler avec des femmes : j’ai posté des messages sur les réseaux sociaux en disant que j’avais une idée de série engagée et c’est principalement des femmes qui m’ont répondu. Puisque c’est un sujet qui les touche au quotidien, je pense que ça les a surtout fait sourire. Après, je pense que les mecs peuvent être des supers alliés du féminisme !
B : C’était comment de ne travailler qu’avec des femmes ?
LM : J’ai eu moins besoin de convaincre parce que ça nous faisait toutes rire ensemble de parodier ces pubs un peu absurdes sur les règles. On a toutes travaillé dans une fluidité et une simplicité en une journée. C’était un gros shoot mine de rien en termes d’organisation. Mais ça s’est passé sans encombre : il y avait vraiment une sorte de synergie créative.
B : Représenter une diversité dans le choix des modèles, c’est voulu ?
LM : J’ai voulu prendre des filles de la vraie vie. Aucune n’est mannequin, aucune n’a l’habitude de poser. La plupart posaient pour la première fois. J’ai essayé d’avoir quelque chose d’assez représentatif des femmes. Mais je n’ai pas la prétention d’avoir réussi. Il aurait fallu faire encore plus d’images avec d’autres femmes.
B : Derrière l’humour de ta série, on peut sentir une certaine colère…
LM : Oui, quand même. Il y a des choses graves qui se passent. Dans certains pays, les femmes sont encore soumises à ce qu’on appelle l’exil menstruel : elles sont obligées de partir parce qu’elles sont considérées comme impures. Il y a une vraie précarité menstruelle. C’est encore compliqué d’avoir des protections qui ne sont pas nocives pour la santé : pour rendre les serviettes et les tampons bien blancs, bien purs et pas sales, on bourre ça de chlore, ce qui nuit à la santé des femmes. Ça touche à des sujets très graves.
B : Ta série pourrait ouvrir un débat public ?
LM : Je n’ai pas cette prétention-là. Mais j’aimerais bien qu’on puisse réfléchir, discuter. Après, si une jeune fille peut se dire : « oui, c’est bête, c’est vrai que les règles ce n’est pas sale ! », ma mission est remplie.
Il y a beaucoup de gens qui n’aiment pas cette série photo. Par exemple, lorsque je disais que je voulais casser le tabou autour des règles, on m’a dit : « parce que la pudeur, c’est un tabou ? » Je n’ai pas l’impression que cette série soit particulièrement impudique. Mais c’est intéressant de créer une discussion. On m’a dit aussi « on n’a pas envie de voir des marées de sang après le JT ». Mais, il y a un juste milieu entre, montrer du canard WC avec des filles qui font du roller la tête à l’envers, et la réalité. C’était juste l’idée de poser des questions avec humour en abordant des sujets qui m’importent.
B : Pourquoi les règles sont encore tabou ?
LM : Bonne question. Je ne comprends pas, mais si on n’en parle pas, les choses ne changeront pas. Donc l’idée, c’est d’en parler, de montrer d’autres représentations des règles et de rire de tout cela.
B : Tu travailles dans la photographie, c’est un milieu sexiste ?
Oui. Globalement en tant que femme, on doit toujours prouver deux fois plus. Par exemple, quand j’arrive pour faire un portrait, on m’infantilise beaucoup. On me dit : « Tu sais utiliser tous ces boutons ? » Ou « tu sais utiliser ce grand appareil ? ». ça m’est déjà arrivé que je vienne prendre des photos pour un média et que l’artiste pense que je voulais prendre un selfie avec lui. Ou encore, de travailler avec un assistant et qu’on le félicite lui, quand les photos étaient bien.
B : Est-ce que tu as d’autres projets en rapport avec le féminisme ?
LM : Oui, je suis en train de faire une autre série qui mélange photos et broderie. Elle aborde la pilosité sur une pointe d’humour. Elle devrait sortir à la rentrée.
Si vous aimez le travail de Lisa Miquet, vous aimerez peut-être sa série “Bombing Beirut” sur le street art.
Vous pouvez retrouver les superbes photos de Lisa Miquet sur son compte Instagram. Vous pouvez aussi consulter son site officiel.